samedi 11 juin 2011

« Joie et espérance


Homélie pour le dixième anniversaire du décès du cardinal Pierre Eyt

« Joie et espérance », « Gaudium et Spes » ce sont les deux mots que le cardinal Pierre Eyt avait choisi pour indiquer la direction qu’il souhaitait donner à son épiscopat au milieu de nous.
Faire mémoire de lui en ce jour du 10° anniversaire de son décès c’est faire confiance à la miséricorde de Notre Dieu mais c’est aussi recueillir les fruits de son ministère et de sa vie.
Il me faut faire un choix parmi les multiples aspects de sa personnalité et de ses œuvres.

Sa première grande décision fut de proposer la route synodale à notre Eglise diocésaine, un vrai chemin qui dura 7 ans. Nos communautés furent convoquées à la conversion pour vivre les temps nouveaux. L’horizon était l’annonce à tous les girondins de la Bonne Nouvelle concernant le Christ. Au moment où Mgr Ricard nous met dans cette perspective avec le projet missionnaire, nous pouvons entendre avec profit ces lignes écrites en mars 1993 : « La vérité de l’Eglise, son but, sa raison d’être ne sont pas dans l’Eglise, mais dans le Christ. L’Eglise y compris la nôtre, ne doit jamais se prendre pour le Christ… Le synode vaudra par la place qu’il donnera au Christ dans nos vies, dans nos familles, dans nos regroupements, dans nos communautés, dans nos services. Si le synode tend, au sens originel de ce terme, à la « réforme de l’Eglise », à sa « réformation », entendons par là l’emprise toujours plus pénétrante de la vie du Christ dans nos vies et dans la vie de l’Eglise. « Tendre vers la forme vraie de l’Eglise » qui est son obéissance parfaite à Jésus-Christ : tel est le but du synode. Ce pour quoi il est vital que nous prenions « la route ensemble ».

Le second trait que j’aime souligner c’est son goût de la liberté : liberté de parole, liberté de ton, liberté de penser, liberté à l’égard des convenances avec son béret devant saint Louis des français le jour de son cardinalat. Ses écrits sur la formation de la conscience, sur l’exigence de vérité et le recours à l’intégrisme, ses notes sur l’ouvrage de Luc Ferry ou sur la série télévisée Corpus Christi, sa réaction à propos de l’instruction sur la collaboration des laïcs au ministère des prêtres sans oublier « le faxeur fou » écrit pour les séminaristes de Poitiers en témoignent. J’aime relire la fameuse controverse qu’il mena fraternellement avec le cardinal Ratzinger dans les colonnes de la Croix en 1999 et qui illustre si bien la proximité et la différence d’accent mais aussi la beauté de l’intelligence de ces deux hommes.
Il faut parler aussi de son amour des terroirs. Plus d’un se souviennent : lors d’un diner avec des personnalités du monde du vin, où les invités étaient conviés à faire des commentaires sur les vins qu’ils dégustaient, le cardinal Eyt entrepris d’instruire l’assistance de la composition des terrains sur lesquels ces vignes avaient poussés. Il refusa de supprimer les paroisses historiques pour créer de nouvelles paroisses car il ne voyait pas comment supprimer saint Emilion, saint Julien Beychevelle, Pauillac, Pessac-Léognan et tant d’autres titres glorieux. Il est retourné, pour sa dernière demeure, (non sans susciter quelques regrets chez nous) dans sa vallée de Laruns où il aimait retrouver ses racines familiales.
Mais l’épreuve est toujours au cœur de la suite du Christ et elle ne l’a pas épargné. Je revois encore son courage lors d’une réunion de parents éprouvés dans le respect de leur enfant. Le P. Grenié, que j’évoque avec amitié, a été le témoin des secousses diverses qu’il a vécues à cause des difficultés inhérentes à l’animation d’un diocèse. Mais je pense tout particulièrement à deux moments.
D’abord, à cause de ses prises de paroles, il fut suspecté un temps de faire un jeu anti romain. Comme si ce serviteur de l’Eglise se retournait contre elle ! Voici ce qu’il disait lors de sa prise de possession de son titre cardinalise à la Trinité des Monts le 26 février 1995 : « Quel doit être le rôle des évêques et des théologiens catholiques ? N’est-il pas de redire que la parole de Jésus à Pierre : « Tu es Pierre » appartient à la substance même de l’Évangile ? Sans cette parole, y a–t-il d’ailleurs un Evangile ? Sans cette parole l’Evangile aurait-il grandi, porté du fruit, serait-il parvenu jusqu’à nous ? Qu’est que l’Evangile sans l’Eglise qui le porte, sans le ministère de Pierre qui, dès l’origine, l’authentifie ? »

Puis ce fut les deux dernières années où il dut faire face à la maladie avec courage. Le vendredi avant sa mort il recevait encore dans sa chambre le conseil épiscopal et je l’entends me dire lors de ma dernière visite : « Jean, j’aurais encore tant de chose à vous dire mais je n’ai plus la force. »
Tous nous avons pu admirer cette force lors du chemin de croix au jardin public. Sa prière alors se faisait confidence et il se comptait parmi tous les souffrants : « Seigneur, toi qui connais ces moments tragiques où le malheur et le danger s’accumulent, donne-nous le courage d’affronter ces lourdes heures : dans la maladie, dans les crises familiales, dans les épreuves professionnelles, dans les détresses publiques. Apprends-nous à aider nos frères à vivre ces moments avec le réconfort de nous savoir de leur côté. »

Qu’est-ce que je garde de cet évêque courageux, de cet esprit brillant, de cet homme attachant par ses foucades et ses colères ? Le ton avec lequel il prononcé dans ses prises de paroles le nom de Jésus ; il ne livrait guère ses sentiments mais on entendait là le cœur de sa foi et de sa vie.

Puissions-nous aimer le Seigneur aussi humainement !


Jean ROUET

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Merci ! très touchée pour ton partage...pour ce que tu as perçu, vu,entendu et vécu avec le Père Eyt dans notre Eglise diocésaine