vendredi 14 novembre 2014

Rien à perdre, tout à gagner !

              Cette parabole des talents, nous la connaissons si bien ! Depuis que nous sommes enfants, nous l’entendons comme une invitation à reconnaître et à faire fructifier les talents que nous avons reçus. Pourtant cette histoire produit parfois chez ceux qui l’entendent un effet paradoxal : elle nous fait peur… Car nous pouvons y entendre comme une injonction de produire du fruit ! « Si tu ne produis rien, si tu ne réussis pas, tu es inutile et tu seras jeté dehors ! » Nous pourrions être tentés d’y voir une condamnation de ceux qui se trouvent en échec, bons à rien, sans réussite. Il me semble que cette lecture-là - tellement contraire à l’Evangile - est plutôt tributaire de notre société de l’hyper réussite, de la compétitivité à tout prix, de la compétition permanente. Rien à voir avec l’Evangile !
Le message de Jésus est tout autre bien sûr. Ce n’est pas tant produire du fruit qui importe avant tout. L’essentiel est ailleurs. Pour trouver cet essentiel, posons-nous la question : quelle est la différence entre les deux premiers serviteurs - ceux dont les talents se sont multipliés – et le troisième dont le talent n’a rien porté aucun fruit ? La différence réside dans la manière dont ces hommes regardent leur maître. Le troisième serviteur le reconnaîtra lui-même : « J’ai eu peur… je savais que tu es un homme dur ». Mais qui lui a dit que son maître était un homme dur ?!? Tout cela est dans sa tête, dans son regard, dans son cœur.
Pourquoi donc les deux premiers serviteurs n’ont-ils pas réagi de la même manière ? La différence entre ces hommes n’est pas dans leur habileté ou le nombre de leurs talents mais plutôt dans la manière dont ils regardent leur maître. Si je regarde Dieu comme une puissance menaçante ; si je reçois la vie qu’il me donne comme un danger alors je ne vivrai que sur la défensive, dans la peur. Si je sais porter sur Dieu un autre regard ; si je le vois comme un Père aimant que veut me voir grandir ; si je sais recevoir la vie comme un don et une bénédiction, alors je porterai beaucoup de fruit quoi qu’il en soit des aléas que la vie me réserve. Cette parabole est une invitation à ne pas avoir peur ; à renouveler notre regard sur Dieu.
Au fond cette parabole nous place devant une alternative : vais-je vivre en sourdine, un peu comme on enfouit un trésor dans la terre par peur de le perdre ? Ou bien vais-je vivre sans peur de perdre, puisque de toutes les façons, il n’y a rien à perdre mais tout à gagner ?« Qui veut garder sa vie la perd mais qui perd sa vie à cause de moi, la sauvera ! »  La vie que nous avons reçue de Dieu peut être perçue comme un danger ou comme une chance… à nous de choisir ! Dieu peut être regardé comme une menace ou comme un allié… à nous de choisir !
P. Pierre Alain LEJEUNE





dimanche 2 novembre 2014

Et après ?

              Et après ? Ces deux mots comme une question sont, je trouve, la plus belle réplique du film que nous avons visionné à l’aumônerie de Saint Pierre il y a 10 jours ; il s’agit du dernier film de Pawel Pawlikowski : Ida.
              « Et après ? » : c’est la question que renvoie une jeune novice à un garçon lui proposant de partir avec lui. La jeune fille répond : « et après ? ». Par ces deux mots, elle exprime que sa quête de sens ne s’arrête pas là ; ne s’arrête pas à cette vie. Qu’il ne suffit pas de construire sa vie d’ici-bas pour être rassasié de vie. Qu’elle désire plus. Qu’elle regarde plus loin.
              Quelques jours avant de prononcer ses vœux, Ida se retrouve confrontée à un monde athée et désespéré. Un monde qui n’a aucun « après ». Pour elle, le choix qu’elle se prépare à poser, dans cette vie, n’a de sens qu’à la lumière de cet « après ». C’est en regardant l’horizon que nous trouvons l’équilibre.
              Aujourd’hui, en priant pour nos défunts, nous regardons vers l’horizon ; nous sommes dans l’espérance de cet « après » qui donne sens au maintenant. Cet avenir qui donne sens au présent. S’il n’y avait pas d’après, que voudrait dire vivre aujourd’hui ? Faire le plus possible ici-bas avant le coup de sifflet final ? Profiter un maximum avant que tout ne s’arrête ? Tout cela manque un peu de relief, de profondeur, d’espérance.
             La foi en une vie après la mort n’est pas, pour nous, une manière de nous rassurer à bon compte sur notre sort. Mais elle porte un éclairage nouveau sur cette vie. Tout ce que nous vivons, nos plus belles histoires comme nos blessures les plus douloureuses, tout cela nous porte à regarder plus loin, à regarder après. Il ne s’agit aucunement de fuir le présent mais bien plutôt de le vivre autrement. De manière plus… libre !
           Et après ? Pas plus que vous, je n’ai de réponse à cette question. Où sont nos proches disparus ? Où allons-nous ? Mais ce n’est pas d’une réponse dont nous avons besoin. Ce n’est pas une réponse que l’Evangile nous offre ; c’est un chemin qu’il nous ouvre, une espérance qu’il nous donne. Il y a un « après » ! Aujourd’hui nous prions pour nos défunts car nous croyons que l’ « après » qu’ils vivent maintenant, donne sens à ce qu’ils ont été au milieu de nous sur cette terre. C’est parce que notre avenir est en Dieu, que notre présent a un sens et qu’il a, déjà, valeur d’éternité.

 P. Pierre Alain LEJEUNE


samedi 1 novembre 2014

Une question simple

Il suffit de répondre pour « oui » ou par « non » : 


voulez-vous être saint ?



Si vous avez choisi de répondre « oui », vous avez choisi la voie du bonheur selon l’Evangile.
Si vous avez choisi de répondre « non », vous avez choisi la fausse modestie qui dissimule nos peurs de ne pas y arriver. Ou bien vous êtes liés par des images d’un Dieu qui propose une morale triste, une sagesse d ‘une infinie tristesse. Ou bien des images de sainteté aux saints de plâtre, de marbre toujours aussi inertes…
L’appel à la sainteté est l’appel au partage du bonheur de Dieu.
C’est un bonheur paradoxal, un bonheur à cent lieux de la brillance, à cent lieux des caméras et des micros, à cent lieux du reality-show, à cent lieux de l’éphémère.
C’est un bonheur tourné vers l’avenir, un bonheur non-satisfait de lui, un bonheur d’espérance, un bonheur qui n’est pas clos sur lui-même. Un bonheur qui a le goût du manque, du manque de plénitude, mais qui expérimente ce manque comme un formidable tremplin vers la plénitude de Dieu et le service du frère.
La pauvreté de cœur est en premier et creuse ce manque d’où peut naître la douceur, la miséricorde, la compassion, la paix, la justice, la pureté du regard autant de chantiers où l’humanité est en attente, en espérance de plénitude et qui nous ferons affronter la persécution.
C’est un bonheur universel. Le coeur de Dieu n’est pas limité à 144 000, le cœur de Dieu n’a pas d’autres limites que l’infini de son amour ; et c’est une foule que nul ne peut dénombrer, la foule de tous ceux qui ont vécu ainsi leur existence.
C’est le bonheur de la communion universelle, de la solidarité universelle dans la douceur, la justice, la miséricorde… Nous pouvons nous appuyer à fond sur ce réseau social de sainteté !
C’est un bonheur du petit peu à chaque fois. Dans telle rencontre, telle relation, tel travail, tel échange, je peux, ici et maintenant, vivre un peu de douceur, un peu de miséricorde, un peu de pureté du regard, un peu de paix. Ce « peu » est un instant d’avenir.
C’est donc un bonheur à notre portée car chacun on peut « un peu » !

Rêvez donc de sainteté !

samedi 25 octobre 2014

Aimer l'autre comme soi-même et la fin de vie...

Le premier et le second commandement sont donc semblables : « Aimer Dieu et aimer son prochain comme soi-même. »
Aimer son prochain comme soi-même ! Nous entendons à nouveau cet appel du Christ quelques jours après que le comité national d’éthique ait rendu public un rapport sur la fin de vie.
Laissons nous éclairer par cette parole pour évoquer ce sujet si difficile.  Nous y sommes confrontés régulièrement et quelques fois au sujet de nos proches.
Nous appartenons tous à cette humanité marquée par la finitude et la vulnérabilité. Malades ou bien portants, soignants ou soignés, prêtre ou fidèles nous sommes tous situés face à la mort et plus précisément à notre propre mort. Mais deux règles structurent nos consciences pour affronter notre condition mortelle. Il y a une règle négative et une règle positive.
« Tu ne tueras pas » est un interdit fondateur de la vie des hommes entre eux.  Le contraire est la sauvagerie. Malheureusement elle existe. Progresser en humanité c’est passer de la force de la violence à la force du droit. Supprimer une vie, quelles qu’en soient les justifications, est une violence qui engendre de la violence.
Face à cet interdit,  il y a l’appel positif du « tu aimeras ». Le choix de la vie est le choix de la tendresse sur la violence surtout pour les êtres en situation de fragilité dans la maladie ou dans l’affrontement à leur mort. 
Nous sommes des êtres de relation, en relation. La relation est notre respiration humaine. Même si les autres quelquefois nous empêchent de respirer ou nous pompent l’air,  nous vivons grâce à nos relations.
La souffrance nous recroqueville sur nous-mêmes, rétrécies nos vies. Nous sommes comme réduits à nous-mêmes. C’est bien dans ces moments là que nous avons besoin d’être accompagnés et non rejetés, c’est à cette heure là qu’il ne faut pas être abandonné. Nous avons besoin d’avoir sur nous un regard qui nous révèle que nous existons pour quelqu’un. Nous avons besoin d’une main qui nous caresse pour nous faire éprouver autre chose que notre douleur. Aimer une personne c’est la respecter, l’aider et la protéger tout à la fois au moment où elle en a le plus besoin.
La grande tentation qui peut alors nous frapper est celle du déni. Nous voulons ignorer dans quel état nous sommes, nous voulons ignorer dans quel état est l’autre. Le bavardage ou la fuite sont nos principales armes. Ce déni est sous tendue par la peur, il masque notre peur de la mort et de la douleur. Mais le déni ne permet pas d’être dans une vraie relation de personne à personne et dans l’état réel où elles sont.
Accompagner jusque dans la souffrance et la mort c’est prendre soin de toute la personne dans sa globalité. On ne laisse pas tomber, on ne laisse pas quelqu’un à sa souffrance, on ne l’élimine pas de nos relations. On apprend à résister à la tyrannie de ses émotions, de ses hauts le cœur.
Quelque que soit notre état de santé psychique ou physique nous ne sommes jamais morts socialement. On ne réduit pas quelqu’un  à son utilité : un mourant n’est pas un inutile dont il faut se débarrasser le plus vite possible. Nos malades et nos mourants nous apprennent des qualités indispensables à notre humanisation : la douceur, la patience et l’empathie. 
Il nous faut servir dans notre société cette culture de l’empathie : du vivre avec, du sentir avec, du souffrir avec. Il nous faut développer une culture palliative dans nos lieux de soins, dans nos maisons de retraite, dans nos familles.
Trop peu est fait en France dans nos structures de santé puisque 80% de français n’ont pas accès aux soins palliatifs.
Trop peu est fait dans nos consciences. Nous risquons entretenir la conviction que c’est la souffrance qui est salvatrice et l’exemple de la croix du Christ peut nous entrainer dans cette pensée. Ce qui sauve c’est l’amour au cœur de la haine, c’est l’amour de la personne au delà de tous ses handicaps, ce qui sauve c’est l’amour jusqu’au bout du bout de la vie. Telle est la croix du Christ. Et « nous serons jugés sur l’amour. »
Des propositions sont étudiées pour modifier la loi essentiellement sur deux points : les directives anticipées et la sédation en phase terminale.
Les directives anticipées, c’est à dire les dernières volontés du malade, supposent un vrai dialogue continu entre les soignants et les soignés. Le choix n’est pas entre l’acharnement thérapeutique ou l’euthanasie. Le choix c’est aussi l’accompagnement jour après jour, heure après heure dans le respect, le soutien et la prière.
Bien sûr, il faut soulager la douleur même si l’on sait que cela risque d’accélérer le processus de fin de vie. Mais l’intention est ici de soulager, de soigner. Jamais la conscience ne doit renoncer à prendre soin. Elle ne doit jamais se résigner à donner la mort.
Nous savons dans la foi que chaque personne vulnérable « a du prix aux yeux » de Dieu (Isaïe 43,3). C’est pourquoi un accompagnement humain des personnes en fin de vie est la reconnaissance authentique de leur inaliénable dignité. Cela aussi du prix aux yeux de Dieu.
Aimer l’autre comme on s’aime soi-même jusqu’au bout de soi. Aimer l’autre comme le Christ nous a aimés jusque dans la mort. C’est là qu’est né la dignité de toute personne humaine.