Le premier et le second commandement sont donc
semblables : « Aimer Dieu et aimer son prochain comme
soi-même. »
Aimer son prochain comme soi-même ! Nous
entendons à nouveau cet appel du Christ quelques jours après que le comité national
d’éthique ait rendu public un rapport sur la fin de vie.
Laissons nous éclairer par cette parole pour évoquer
ce sujet si difficile. Nous y sommes
confrontés régulièrement et quelques fois au sujet de nos proches.
Nous appartenons tous à cette humanité marquée par la
finitude et la vulnérabilité. Malades ou bien portants, soignants ou soignés,
prêtre ou fidèles nous sommes tous situés face à la mort et plus précisément à
notre propre mort. Mais deux règles structurent nos consciences pour affronter
notre condition mortelle. Il y a une règle négative et une règle positive.
« Tu ne tueras pas » est un interdit
fondateur de la vie des hommes entre eux. Le contraire est la sauvagerie.
Malheureusement elle existe. Progresser en humanité c’est passer de la force de
la violence à la force du droit. Supprimer une vie, quelles qu’en soient les
justifications, est une violence qui engendre de la violence.
Face à cet interdit,
il y a l’appel positif du « tu aimeras ». Le choix de la vie
est le choix de la tendresse sur la violence surtout pour les êtres en
situation de fragilité dans la maladie ou dans l’affrontement à leur mort.
Nous sommes des êtres de relation, en relation. La
relation est notre respiration humaine. Même si les autres quelquefois nous empêchent
de respirer ou nous pompent l’air, nous
vivons grâce à nos relations.
La souffrance nous recroqueville sur nous-mêmes,
rétrécies nos vies. Nous sommes comme réduits à nous-mêmes. C’est bien dans ces
moments là que nous avons besoin d’être accompagnés et non rejetés, c’est à
cette heure là qu’il ne faut pas être abandonné. Nous avons besoin d’avoir sur
nous un regard qui nous révèle que nous existons pour quelqu’un. Nous avons
besoin d’une main qui nous caresse pour nous faire éprouver autre chose que
notre douleur. Aimer une personne c’est la respecter, l’aider et la protéger
tout à la fois au moment où elle en a le plus besoin.
La grande tentation qui peut alors nous frapper est
celle du déni. Nous voulons ignorer dans quel état nous sommes, nous voulons
ignorer dans quel état est l’autre. Le bavardage ou la fuite sont nos
principales armes. Ce déni est sous tendue par la peur, il masque notre peur de
la mort et de la douleur. Mais le déni ne permet pas d’être dans une vraie
relation de personne à personne et dans l’état réel où elles sont.
Accompagner jusque dans la souffrance et la mort c’est
prendre soin de toute la personne dans sa globalité. On ne laisse pas tomber,
on ne laisse pas quelqu’un à sa souffrance, on ne l’élimine pas de nos relations.
On apprend à résister à la tyrannie de ses émotions, de ses hauts le cœur.
Quelque que soit notre état de santé psychique ou
physique nous ne sommes jamais morts socialement. On ne réduit pas
quelqu’un à son utilité : un
mourant n’est pas un inutile dont il faut se débarrasser le plus vite possible.
Nos malades et nos mourants nous apprennent des qualités indispensables à notre
humanisation : la douceur, la patience et l’empathie.
Il nous faut servir dans notre société cette culture
de l’empathie : du vivre avec, du sentir avec, du souffrir avec. Il nous
faut développer une culture palliative dans nos lieux de soins, dans nos
maisons de retraite, dans nos familles.
Trop peu est fait en France dans nos structures de
santé puisque 80% de français n’ont pas accès aux soins palliatifs.
Trop peu est fait dans nos consciences. Nous risquons
entretenir la conviction que c’est la souffrance qui est salvatrice et
l’exemple de la croix du Christ peut nous entrainer dans cette pensée. Ce qui
sauve c’est l’amour au cœur de la haine, c’est l’amour de la personne au delà
de tous ses handicaps, ce qui sauve c’est l’amour jusqu’au bout du bout de la
vie. Telle est la croix du Christ. Et « nous serons jugés sur
l’amour. »
Des propositions sont étudiées pour modifier la loi essentiellement
sur deux points : les directives anticipées et la sédation en phase
terminale.
Les directives anticipées, c’est à dire les dernières
volontés du malade, supposent un vrai dialogue continu entre les soignants et
les soignés. Le choix n’est pas entre l’acharnement thérapeutique ou
l’euthanasie. Le choix c’est aussi l’accompagnement jour après jour, heure
après heure dans le respect, le soutien et la prière.
Bien sûr, il faut soulager la douleur même si l’on
sait que cela risque d’accélérer le processus de fin de vie. Mais l’intention
est ici de soulager, de soigner. Jamais la conscience ne doit renoncer à
prendre soin. Elle ne doit jamais se résigner à donner la mort.
Nous savons dans la foi que chaque personne vulnérable
« a du prix aux yeux » de Dieu (Isaïe 43,3). C’est pourquoi un accompagnement
humain des personnes en fin de vie est la reconnaissance authentique de leur inaliénable
dignité. Cela aussi du prix aux yeux de Dieu.
Aimer l’autre comme on s’aime soi-même jusqu’au bout
de soi. Aimer l’autre comme le Christ nous a aimés jusque dans la mort. C’est
là qu’est né la dignité de toute personne humaine.
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