samedi 11 avril 2009

« Qui nous roulera la pierre ? »


Les femmes se rendent au tombeau pour achever l’ouvrage. Le Sabbat n’avait pas permis de terminer les derniers soins pour embaumer le cadavre. Elles vont poser les derniers gestes d’affection pour celui à qui elles doivent tant ! Il a été mis au tombeau, la pierre a scellé l’aventure de ce Galiléen perturbateur. Vous rendez-vous compte : il se vivait tellement unis à Dieu qu’il en devenait fraternel avec tous les pécheurs ; il affirmait que Dieu était totalement en son cœur et il prétendait que cela nous était accessible, nous pourrions vivre en sa présence tous le jours de la vie ! C’est intolérable, c’est blasphématoire ! Dieu est si préoccupé de sa gloire ! Dieu a tellement de choses à faire, de loi à promulguer , de décret à signer ! ça se saurait depuis longtemps s’il s’intéressait à tous les hommes ! Il n’y aurait pas tant de malheurs si Dieu avait enfin pitié de nous ! Non il juge les méchants et récompense les bons.

Il était fou ce Nazoréen de penser que moi j’avais une réelle importance pour Dieu ! Il avait même posé des signes qui pouvaient le laisser croire ; on raconte encore l’histoire de cet ami, Lazare de Béthanie, qu’il aurait fait revenir à la vie !

C’en était trop, il fallait mettre fin à cette supercherie : le temple et le palais n’auraient bientôt pu maîtriser les événements.

Il emporte avec lui, au fond de son sépulcre, tous nos rêves de reconnaissance et d’affections réussies ; il scelle dans sa mort toutes nos espérances d’un vrai bonheur à notre portée, d’une vie pour les pauvres de cœur, les affamés de justice, ceux qui pleurent, les doux , les pacifiques enfin vous connaissez « la liste des préférés  de Jésus » !

« Nous avons été mis au tombeau avec lui » dit l’apôtre Paul. C’est bien nous qu’il emporte ainsi et l’ordre du monde retrouve son équilibre entre peurs et abondance. Toutes nos excuses ordinaires pour être jaloux, distants, hypocrites, menteurs, adultères, jouisseurs restent de mise. On a roulé la pierre ; rien ne bouge .

Voilà qu’au petit matin les choses ne sont plus dans l’ordre : la pierre a été roulée et on ne sait par qui. Les pires hypothèses naîtront à partir de là. La peur envahit le cœur des femmes : que va-t-il encore se passer ; il ne suffit donc pas de l’avoir tué, il faut qu’ils s’en prennent en plus au cadavre !

« N’ayez pas peur » dit l’homme en blanc et son cri parvient jusqu’au fond de nos entrailles !

« N’ayez pas peur » de vous, de vos échecs, le Christ les a tous aimés d’avance.

« N’ayez pas peur »  de Dieu, il est à la porte et il frappe pour prendre le repas avec vous et être votre ami.

« N’ayez pas peur »  des autres, ils ont autant que vous ce désir d’aimer et d’être aimer.

« N’ayez pas peur »  du monde, il a au centre de son histoire la force de la résurrection !

Croyez que Dieu se manifeste à vous : au plus intime, cette joie, cette paix, ce dynamisme, cette force c’est lui qui vous rencontre et vous aime au jour le jour ;

Croyez que vous êtes entendus quand vous criez vers lui, il vous précède dans vos attentes, il est votre compagnon depuis les débuts en Galilée.

Croyez que vous avez raison d’espérer un salut pour tous les hommes, sa paix sera plus forte que nos guerres.

Croyez et vous vivrez ! « Pensez que vous êtes morts au péché et vivants pour Dieu en Jésus Christ ! »

jeudi 9 avril 2009

"Et par amour du Père, il eut sa mort humaine !"


C'est ainsi que Charles Péguy commente la mort de Jésus après avoir longuement contemplé son chemin de passion.

Sur les routes du monde, dans les hôpitaux de nos villes, la mort des hommes, des femmes, des enfants poursuit son œuvre dévastatrice ! Des hommes, des femmes en rajoutent, même des enfants dans certains régions de notre monde sont requis, éduqués pour en rajouter à la mort comme si elle n'était pas assez puissante par elle même pour mener le bal.

Que nous révèle la mort humaine de Jésus sur notre propre mort ? Elle est bien une condamnation quelle que soit sa forme ! Condamnés à mort tel est notre destin inéluctable. Par  vieillesse, par maladie, par violence nous en sommes sûrs ! Et nos révoltes dans la maladie, contre toutes violences, dans l'angoisse de nos vieux jours sont fortes de cette certitude. Les Evangiles synoptiques évoquent avec délicatesse mais avec soin cette part toute humaine de la mort de Jésus : son angoisse et sa sueur de sang au jardin des Oliviers, son cri et sa question au Père comme s'il était abandonné de lui, seul livré à la mort et aux bourreaux ! Voilà pourquoi sur le visage de Jésus de Nazareth se réfléchit chaque homme dans sa mort et aujourd'hui encore en suivant le crucifié, l'abandonné, nous voyons toute l'humanité. "Voici l'homme !" dit Pilate ; "Voici les multitudes !" nous invite à dire le prophète Isaïe.

Que nous révèle la manière humaine de Jésus de vivre sa mort  sur lui-même ? L'apôtre saint Jean nous propose à chaque station, à chaque pas, une capacité sans cesse renouvelée de vivre cet instant dans la plénitude de la liberté et de l'amour. Dés l'arrestation il dit "c'est moi" reprenant pour s'affirmer les mots que la Bible met dans la bouche de Dieu lorsque qu'il se révèle à Moïse dans le désert : "Je suis". C'est lui qui conduit les événements : il arrête la violence de Pierre, il mène l'interrogatoire chez Pilate, il donne à Marie un nouveau fils et concluant ce chemin il déclare : "Tout est accompli". Un homme dans sa mort libre, totalement libre. Une liberté telle que "le centurion, voyant comment il était mort, déclara : vraiment cet homme était le fils de Dieu".

Aujourd'hui, dans le sacrement de l'Eglise, jaillit sa vie, l'eau et le sang, l'Esprit qu'il remet comme un héritage. Aujourd'hui nous sommes ses héritiers, aujourd'hui nous recevons de sa mort une liberté libérée, une capacité de don rachetée, une paix qui adoucit nos violences. Aujourd'hui héritiers pour être messagers :"Celui qui a vu rend témoignage afin que vous croyez vous aussi."

Il passe, "en sachant", de ce monde à son Père !


C'est l'heure ! Jésus  le sait. Tout lui est remis ! Il le sait.  Il vient et il va au Père ! Il le sait.

Le savoir de Jésus est une prise de conscience de la plénitude du moment présent. Savoir pour Jésus c'est passer au Père !

Il sait. Il n'y a plus pour lui aucun doute : le procès est déjà terminé avant d'avoir commencé ; la sentence est rendue dans les cœurs et les esprits de tous , il ne reste plus qu'à voir comment elle va pouvoir être exécutée. C'est l'heure du passage. Il faut y aller ! C'est maintenant ! Les blés sont mûrs pour la moisson ! Tout est en place ; tous les acteurs sont prêts : les disciples avec leurs illusions sur eux-mêmes et leurs ambitions pour eux-mêmes, les chefs des prêtres et les scribes avec leur soif de récupérer l'influence perdue, les romains soucieux de leur pouvoir, se lavant les mains de tout ce qui se passe, le démon au cœur de l'ami qui va le livrer. C’est le moment, c’est l’heure ! C’est l’heure du Père et c’est l’heure du monde ! C'est l'heure du Père comme si l'heure du Père était l'envers de l'heure du monde ! L'heure du monde c’est la manifestation de la lâcheté des compagnons, des intimes ; l'heure du Père c’est le Fils qui se met à genoux pour servir ceux-là mêmes qui le trahissent en courant.

C'est l'heure du monde puisqu'il n'y a plus qu'un corps livré, qu'un sang versé, qu'un être réduit à la figure de l'esclave, qu'un agneau que l'on mène à l'abattoir, qu'un être défiguré par la haine ordinaire ; c'est l'heure du Père puisqu'il aime jusqu'au bout, jusqu'à l'extrême, jusqu'à toute extrémité. C'est l'heure où le maître et Seigneur lave les pieds des serviteurs, c'est l'heure où le Père quand il agit dans le monde est l'esclave de tous.

Passer du monde au Père pour Jésus c'est savoir ces enjeux, c'est analyser la situation avec toutes ses composantes personnelles et collectives, c'est être conscient de tout ce que le Père lui a donné, lui a remis, lui a confié. Passer du monde au Père pour Jésus c'est se mettre au plus bas du monde, au plus bas de l'échelle. Passer du monde au Père pour Jésus c'est savoir d'où il vient et où il va, pleinement à lui-même et au moment présent et, par le fait même, pleinement au Père et au monde qu'il sauve ! Réellement présent ! Présence réelle telle est l'heure de Jésus, telle est l'heure de son passage au Père, telle est l'eucharistie : présence réelle en notre temps de l'Amour de Jésus !

Chaque eucharistie nous offre cette heure du passage ; chaque eucharistie nous invite à prendre la mesure de notre temps, de chacun de nos instants. A chaque instant, c'est l'heure de passer au Père si j'accueille la réalité toute entière sans faux-fuyant, sans esquive, sans excuse. A chaque instant, c'est l'heure d'éprouver la paternité de Dieu en me recevant créé par lui et pour lui, une de ses créatures, un parmi les autres, appelé à lui appartenir. A chaque instant, c'est l'heure de mettre en œuvre tous les dons, toutes les capacités, toutes les qualités reçus du Père en servant le vrai bien de chacun de mes frères et de mes sœurs. A chaque instant réellement présent, telle est la vie que l'eucharistie veut nourrir en moi depuis la première Cène. C’est le contraire de la distraction, du dilettantisme, de la superficialité, du survol, de la légèreté. C’est l’instant où j’accorde du poids à celui qui est là, à ce qui se passe, tout entier à l’instant présent  puisque mon éternité  se joue en ce moment !

Au soir où nous rappelons cette heure de Jésus, ce passage de Jésus, recueillons en nos mains, en nos cœurs, en nos esprits ce que nous sommes, les lieux où nous vivons, les personnes avec qui nous œuvrons ; réalisons nos solidarités avec tous les souffrants du monde, tous les lâches du monde, tous les ambitieux du monde ; apportons tous les peuples dans la guerre et l'exil, tous les efforts de paix. Sachant tout cela, sachant ainsi tout ce que le pain et le vin de cette eucharistie portent, contiennent, signifient, entrons dans le désir du Christ d'aimer, d'aimer jusqu'au bout, d'aimer travailler au salut de toute l'humanité. Entrons dans la mémoire de Lui, nous proclamons sa mort jusqu'à ce qu'il vienne, nous célébrons son passage vers le Père jusqu'à ce que toute l'humanité achève en Lui ce passage ! Alors de nos cœurs, de nos esprits, dans notre bouche pourra jaillir la prière qui nous fait passer de ce monde à son Père : "Abba, Père".

Oui, maintenant pour chacun et chacune d'entre nous c'est l'heure du passage au Père en notre cœur, en notre esprit, en notre corps !