dimanche 28 novembre 2010

Comme un veilleur dans la nuit


                 Tous ceux qui ont été scouts ou guides ont connu ces instants magiques où l’on veille le feu tout au long de la nuit en attendant le matin. Cette veille est bien plus qu’une simple attente car elle est orientée : elle a un but. Il s’agit de traverser la nuit tournée vers le soleil levant.

                 Les lectures bibliques de ces dernières semaines ont évoqué les pires perspectives que l’ont puisse imaginer : catastrophes en tous genres, famines et persécutions, cataclysmes cosmiques. On pourrait s’étonner que chaque année liturgique s’achève ainsi avec des textes apocalyptiques. Et s’il s’agissait au fond, de nous aider à entrer dans les sentiments du veilleur ; celui qui, au cœur des peurs et des dangers de la nuit, attend le jour dans la confiance car il sait que, toujours, l’aurore se lève.

                 Evidemment, tout cela est très prévisible. Comme le soleil qui se lève toujours au moment prévu, Noël tombera cette année encore, le 25 décembre… Et n’attendre que des événements prévisibles a quelque chose de désespérant. Or Jésus aujourd’hui nous invite à nous préparer à l’imprévisible ; à ce qui pourrait nous surprendre, comme un voleur ! De même que l’aurore, toujours prévisible, peut devenir un véritable enchantement, n’y aurait-il pas, dans cet événement très prévisible du 25 décembre, une nouveauté inouïe à recueillir ? N’y a-t-il pas, dans le mystère de la nativité,  ce que je n’ai pas encore découvert de Dieu ?

                 Nous préparer à l’imprévisible :  c’est tout le sens du temps de l’avent qui commence aujourd’hui.  Eveiller nos cœurs à ce que nous ne pouvons pas imaginer ; nous maintenir en éveil lorsque tout semble vouloir nous endormir.  Peut-être même y a-t-il quelque chose de prophétique dans cette veille. Dans notre monde qui semble n’attendre rien d’autre que ce qu’il a lui-même produit et planifié, n’avons-nous pas, comme chrétiens, à tenir cette espérance qu’une nouveauté radicale peut advenir ? Que l’homme n’a pas encore tout découvert de la vie et du monde. Que le visible ne dit pas tout de la vérité. Que l’immédiat ne suffit pas à combler le cœur de l’homme. Que Dieu a encore beaucoup à nous dire.

                Ne pas se laisser endormir par le ronron du quotidien. Refuser les somnifères de la publicité et du prêt-à-penser. Savoir s’étonner encore et toujours de la vie. Garder un cœur simple. Continuer de croire que le plus beau, le plus grand est encore à venir. Attendre Dieu qui vient. Même bousculé par les nuits de la vie, veiller dans la joie de celui qui sait que le jour se lève. Toujours. Comme un veilleur dans la nuit.

 P. Pierre Alain LEJEUNE

mercredi 17 novembre 2010

L’ordre juste de la société et de l’État est le devoir essentiel du politique



En cette semaine riche en événements politiques on peut relire avec intérêt quelques passages de la première encyclique de Benoit XVI sur la Charité « Deus Caritas est » « Dieu est amour » notamment au n° 28.
« L’ordre juste de la société et de l’État est le devoir essentiel du politique. Un État qui ne serait pas dirigé selon la justice se réduirait à une grande bande de vauriens, comme l’a dit un jour saint Augustin », écrit le pape. Le critère ici est donc celui de justice. Mais qu’est-ce que la justice ? Que ressentons-nous comme injustice autour de nous ? Les sujets sont nombreux mais ressentons-nous comme une injustice flagrante le sort des familles d’européens qui logent sous de tentes de fortune place André Meunier à Bordeaux ? Nous entendons chaque jour des chiffres ahurissants sur les bénéfices des uns et sur le nombre des chômeurs dont on nous promet toujours la baisse. On entendra ainsi des réactions du type : « Je fais le même travail que lui, et je suis moins payé, c’est injuste », ou bien « Il est injuste que tant de gens ne puissent se loger convenablement ». Une société juste est une société dans laquelle les relations humaines devraient être régies par l’équité et l’égalité, et se traduire par donner à chacun ce qui lui revient. La justice est l'expression pratique du respect d'autrui, de son droit à la liberté et de la reconnaissance de son statut de personne. La justice comme institution renvoie au système judiciaire dans son ensemble ; les lois, les magistrats, les organes d'application et de défense du droit positif sont au service de la mise en œuvre d’une société où règne la justice.
Le pape continue en disant : « L’Église ne peut ni ne doit prendre en main la bataille politique pour édifier une société la plus juste possible. Elle ne peut ni ne doit se mettre à la place de l’État. Mais elle ne peut ni ne doit non plus rester à l’écart dans la lutte pour la justice. Elle doit s’insérer en elle par la voie de l’argumentation rationnelle et elle doit réveiller les forces spirituelles, sans lesquelles la justice, qui requiert aussi des renoncements, ne peut s’affirmer ni se développer. La société juste ne peut être l’œuvre de l’Église, mais elle doit être réalisée par le politique. Toutefois, l’engagement pour la justice, travaillant à l’ouverture de l’intelligence et de la volonté aux exigences du bien, intéresse profondément l’Église. »
Que celui qui a des oreilles entende ce que l’Esprit dit aux Églises !

mardi 16 novembre 2010

Pas un cheveu de votre tête...

              En lisant l’Evangile de ce jour je ne peux pas m’empêcher de penser au sort que subissent les chrétiens en Irak mais aussi en Egypte, au Yémen ou encore au Pakistan. Ce dimanche, les catholiques de Bagdad entendent comme nous ces paroles de Jésus : « On portera la main sur vous et on vous persécutera. Vous serez détestés de tous à cause de mon Nom. Mais pas un cheveu de votre tête ne sera perdu ». Cette « prophétie » semble, hélas, tellement actuelle ! En bien des pays aujourd’hui, les chrétiens se retrouvent en situation de persécution et je me demande comment les familles des victimes de Bagdad entendent cette parole.

  La réaction légitime serait de se défendre par les armes ou tout au moins par la haine. Comment pourrait-on en vouloir à ceux qui ont perdu un enfant, un parent, un ami dans ces attentats d’éprouver une haine farouche envers les musulmans ? Pourtant la réaction des évêques d’Irak est toute autre. Ils en appellent encore et toujours au dialogue et à la fraternité avec les musulmans ; au refus de toute violence.

  Mgr Casmoussa, archevêque syrien-catholique de Mossoul, disait le lendemain de l’attentat contre la cathédrale de Bagdad: « Nous ne voulons pas que la rancune remplace l’amour. Jamais ! C’est cela notre force, même si certains la considèrent comme une faiblesse. » Cette « faiblesse » est la force de l’Evangile. La force bien plus forte que la violence des puissants. Nos frères chrétiens d’Irak sont, en ce moment, en train de nous montrer ce que signifie suivre le chemin de Jésus-Christ. 

 

  Chez nous en France, il peut nous arriver d’éprouver de la peur ou de la haine envers des populations que nous estimerions hostiles. Alors laissons-nous enseigner par l’exemple de nos frères du Moyen-Orient. Sans naïveté mais sans ressentiment. Simplement dans l’assurance que l’Evangile nous commande d’aimer tout homme ; dans l’assurance que c’est précisément dans cet amour inconditionnel que se joue notre fidélité au Christ ; que c’est de cette manière-là que nous annoncerons au monde l’Evangile du Christ et que toute autre attitude serait un contre-témoignage.

  Celles et ceux qui parviennent à vivre une telle fidélité au Christ peuvent entendre en vérité cette promesse de Jésus alors même que leurs familles sont décimées : « Pas un cheveu de votre tête ne sera perdu ». .

 Nos frères d’Irak sont un membre souffrant de l’Eglise et, dans la communion des saints, nous souffrons avec eux. Mais leur espérance est un témoignage pour nous tous ; ils nous  apprennent à croire que seul le chemin de l’Evangile conduit à la Vie. « C’est par votre persévérance que vous obtiendrez la vie ».

 P. Pierre-Alain LEJEUNE

 

 

lundi 1 novembre 2010

de Ramallah à Yad Vashem

La semaine dernière avec un groupe d’amis j’étais en terre sainte pour un pèlerinage qui nous a conduits du Sinaï au mont Sion, de la traversée de Moïse à la résurrection du Christ ; nous faisions cette visite pendant que les évêques du Moyen Orient étaient réunis par Benoît XVI à Rome pour un synode sur leurs Eglises.
Pendant ces jours nous avons rencontré l’abouna Faysal curé de Ramallah et nous sommes allés voir Yad Vashem, le mémorial de la shoah.
Je garde le choc de ces deux visites qui nous ont mis devant le poids de la souffrance de chacun de ces peuples. Quand vous passez dans les territoires occupés vous voyez la différence inscrite dans le paysage, le style d’habitat et le mur qui encercle, un mur impossible. Nous avions loué un GPS Israélien qui a refusé obstinément de nous guider à l’intérieur de la ville palestinienne, c’est grâce à la gentillesse d’un habitant que nous avons pu trouver la paroisse latine. Enfermé et sans avenir telle est le contenu de la souffrance de ce peuple. Impossible de sortir directement du pays, de circuler librement sans de multiples check point, impossible de savoir quand vont s’arrêter les implantations juives qui grignotent peu à peu le territoire dessiné par l’Onu en 1947. Les cartes sont parlantes ; les communautés chrétiennes sont de plus en plus minoritaires et la désespérance guette plus les cœurs.
Yad Vashem avec le mémorial des enfants, incroyable couloir de l’histoire de la montée du nazisme, de la déportation, et de la destruction de 6 millions de juifs ; en sortant de là on a le souffle coupé. On devine à peine l’insupportable souffrance à cause d’une telle haine ; je n’ai pu écrire que « pardon » sur le livre offert aux remarques de ceux qui viennent en ce lieu.
Le drame de ces deux souffrances est dans leur affrontement. L’abouna de Ramallah nous disait : « Pour nos enfants, les juifs ne sont que des soldats et non des familles.» Ils ne se connaissent que comme ennemi.
Je laisse résonner en moi la réflexion des pères du synode dans leur message au peuple de Dieu en date du 23 octobre dernier : « Il est temps de nous engager ensemble pour une paix sincère, juste et définitive. Tout deux (juifs et chrétiens) sommes interpelés par la Parole de Dieu. Elle nous invite à entendre la voix de Dieu « qui parle de paix » : « J'écoute. Que dit Dieu ? Ce que Dieu dit c'est la paix pour son peuple et ses amis » (Ps 85, 9). Il n'est pas permis de recourir à des positions bibliques et théologiques pour en faire un instrument pour justifier les injustices. Au contraire le recours à la religion doit porter toute personne à voir le visage de Dieu dans l'autre, et le traiter selon les attributs de Dieu et selon ses commandements, c'est-à-dire selon la bonté de Dieu, sa justice, sa miséricorde et son amour pour nous. »