mercredi 6 août 2008

Le cantique des cantiques

« Voici mon bien-aimé qui vient » chante le cantique. En écho le bien-aimé répond : « Viens ma toute belle ! » Le chant n'en finit pas de l'un à l'autre et s'enlacent les paroles comme les amants sous la lune dans le jardin. L'appel se prolonge jusque dans l'apocalypse de celui que Jésus aime : « Marana tha ! » - « Oui, je viens bientôt ! »
Entre le plus beau chant de Salomon et la Révélation de Jésus-Christ, il y a le jardin du tombeau où Marie est retournée sur elle-même pour une nouvelle vision.
Dieu aime ainsi comme un amoureux fou de sa toute belle. Mais qui donc est-elle cette belle ? L'humanité, l'Eglise, mon âme ? Que voit donc Dieu lorsqu'il parle ainsi ?
Mon regard est resté longtemps en arrêt. Que vois-je de moi, de l'Eglise, de l'humanité ? Mes yeux sont encombrés de mes difficultés. « J'ai peiné tout le jour sans rien prendre » dit l'apôtre « Nous n'avons pu le guérir » disent les autres. « Éloigne de toi de moi je ne suis qu'un pauvre pécheur ! » Et il y a le caractériel, le sot, l'infatué de lui-même, l'ambitieux, l'arriviste, le possessif, l'obsédé, le tyrannique, le superficiel, le fainéant, le méprisant, le colérique, l'impatient. J'en passe et des meilleures de moi et de tous les autres. Car tout ceci se conjugue au singulier et au pluriel, au masculin et au féminin, en blanc et en couleur, au nord et au midi, du plus particulier au plus institutionnel... Où est-elle sa toute belle ?
Ne me dites pas que j'exagère ; n'avez vous jamais plongé dans l'univers des êtres humains, essayé de bâtir le moindre projet dans un minimum de durée, vécu une amitié sans trouver quelque chose de cela en votre propre coeur ? Vous êtes bien innocent ! Il vous faut sortir de votre innocence sinon vous mourrez aveugles de naissance.
Qu'il veuille nous sauver, me sauver, c'est entendu, c'est nécessaire, c'est absolument indispensable ! « C'est une cause entendue! » dirait Péguy, les faits sont là. Mais trouver de la beauté comme un a priori ! Comment fait-il ?
« Je crois en l'Eglise une, sainte, catholique et apostolique. » Dimanche après dimanche, le peuple de Dieu pose cette affirmation comme un constat et non seulement comme une espérance ou un doux rêve venu de Galilée. C'est toujours proclamé comme une réalité constitutive et déjà là. Ça fait symbole, ça nous met ensemble dés maintenant. Une confiance est posée qui n'en finit pas d'avoir à traverser les siècles et leurs histoires, les hommes et leur opacité. Où est-elle sa toute belle ? Bien sûr il y a quelques pépites de sainteté... Mais je connais trop les bonnes réponses ! Il y a du désenchantement dans l'air !
Mais, mon âme, est-elle pour lui « sa toute belle » ? Vais-je de chute en chute ou de relèvement en relèvement ? Sur le chemin il a chuté le Bien-aimé comme pour me relever ; et le salut me vient comme un grand sauvetage.
J'ai eu un moment de doute sur cette volonté de salut : « il faut encore qu'il fasse tout »; il me veut pour lui, y a rien à faire ! Serait-il cet énorme égoïste divin qui fait tout pour sa gloire ? Je l'imagine comme moi : intéressé !
Il revient ce doute sur la bonté de Dieu comme un des fondamentaux de toutes les cassures. Douter de la bonté voilà le mal originel qui me tient à distance ne voyant que ce que je projette déjà : la malignité. Il n'y a que bonté rien d'autre et cela m'est toujours inconnu. Je ne Le crois pas, je Le crois extérieur regardant par le trou de la serrure et guettant le faux pas pour venir à mon secours et se rendre indispensable, insupportablement indispensable ! Je crois l'amour comme je le vis spontanément : une prise de l'autre. Pour lui c'est comme un effacement, un anéantissement. « Il s'est abaissé ! » Il ne retient rien de lui ni de moi ; il est don absolu, rien d'autre, « nada ». Mes sens ont peine à suivre et pourtant tout mon être aspire à un tel salut, à une telle visite, à une telle réciprocité, à un tel anéantissement, à une telle radicalité. « Avez-vous vu celui que mon coeur aime ? » murmure l'âme en ses profondeurs joyeuses.
J'étais dans une impasse celle de Narcisse si fréquentée dans la vie spirituelle : la recherche de soi au prétexte de Dieu. Ici le miroir fonctionne et on cherche les fautes ou les quelques beautés préservées et fardées que l'on pourrait offrir ; l'âme se fait belle, croit-elle, ou pire coupable : c'est mortel ! Elle se regarde et finit par s'épuiser. C'est dans Son regard que l'âme est belle et non à mes propres yeux ! C'est Lui qui voit la beauté et qui la décrit. L'âme est belle de se voir ainsi aimée sans autre finalité que la gloire de l'amour qui est l'amour et rien d'autre: « IL a donné le Fils » le Bien-aimé. On existe dans ce regard, c'est comme une sortie de soi. Les amants, alors, non d'autre lieu que le jardin où le Bien-aimé apparaît dans la gloire de l'amour plus fort que la mort alors qu'on les croyait de même force. « Voir toutes choses en Lui » c'est bien le chemin : « C'est ta face Seigneur que je cherche, ne le cache pas ta face. »
L'enfant et la femme ouvre les chemins de la beauté première jamais disparue, jamais perdue, toujours dans le regard du Père. Il faut donc regarder à sa manière du côté des tout-petits et du consentement à être : « Qu'il me soit fait selon ta parole. » Il n'y aura pas d'autres signes que ceux là. Il faudra aller par delà l'écorce mais c'est une perle trouvée dans un champ, dans chaque champ de l'homme. Ce sont deux pains et cinq poissons, trois fois rien, mais c'est déjà quelque chose, dit le maître des mots. Un rien mais en perspective de la multitude, simplement offert au Bien-aimé.
Chaque fois c'est un peu mais c'est sans condition. Telle est la radicalité du Bien-aimé : tout sans condition. Mais ça ne peut être qu'un peu. C'est comme la pelote de laine, pour la défaire, il faut tirer un bout et non tout à la fois. Ainsi ma vie, un bout à la fois, un peu, comme ça vient, les jours de grand soleil ou les jours d'orage : livré au face à face absolument. Y aura-t-il l'heure favorable ?
Le coucher et l'éveil sont des moments références pour les amoureux. la nuit et sa couche, le réveil et son rituel. La main par le loquet qui fait frémir le ventre. La nuit comme dessaisissement total où enfin le Bien-aimé chuchote à l'oreille de l'endormie les mots de la tendresse. « Même le nuit mon coeur m'avertit! » Laissez la nuit à Dieu et à son conseil :« Dieu comble son Bien-aimé quand il dort. »

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