C’est une réalité difficile à vivre, c’est un sentiment intérieur que l’on ne peut se donner. On sait bien qu’on peut avoir dans ce domaine des attitudes forcées. La relation à celui et à celle qui est dans le malheur, la maladie, dans l’agonie alors que moi je suis en bonne santé, vivant et finalement sans trop de problème est une relation périlleuse. Elle me met comme en déséquilibre, comme en porte à faux. Il suffit de penser à notre mal à l’aise quand nous allons voir certains malades. Se révèlent alors en nous des peurs de toutes sortes :
La peur de l’inefficacité : on ne sait quoi faire ; on est mis devant l’inutilité de la question du comment : « ça va ? » ; on meuble, on est gaffeur.
La peur de ne pas savoir quoi dire nous fait cumuler parfois les maladresses, le pire est de ne pas s’en apercevoir, si on était lucide on les verrait dans le regard de celui que l’on visite.
La peur de la froideur, de rester insensible : c’est quelquefois terrifiant d’expérimenter que l’on n’éprouve rien devant le malheur des autres et même et surtout de gens qui nous sont chers. Serais-je bouleversé ou simplement attristé ou pire dur en moi-même ?
La peur de ne pas tenir, de s’écrouler, la peur qui va jusqu’au refus de voir la mort en face.
La compassion aujourd’hui se donne en spectacle. La misère du monde est un lieu formidable de déploiement de générosité : Sidaction, Téléthon et autres grands manifestations où l’on voit des gens de toutes conditions y mettre du leur pour faire grossir la masse d’euros qui aidera à trouver la solution. On expose des malades, on met en scène pour faire cracher au bassinet. Il y a eu pendant quelques années la vague de l’humanitaire et de ses bateaux de riz aux échecs retentissants. On a dénoncé cette charité spectacle, nouvelle bonne conscience médiatique ; à chacun ses bonnes œuvres, ces dames d’œuvres, ces collectes de charité, ces bols de riz prétextes. Mais à longueur de journée ont voit le malheur faire la une ! Notre petit écran déverse tout cela à profusion. Comment compatir avec toute cette misère, avec tous ces humains, avec toutes ses situations catastrophiques ? Nous sommes débordés totalement et c’est l’indifférence qui risque gagner du terrain. A la rigueur nous pourrions être indignés mais demain nous devrons passer à une autre indignation.
La compassion est d’un autre nature. C'est être avec l’autre dans sa souffrance, dans sa passion. Il me semble que c’est une question de positionnement, de hauteur ou plutôt il s'agit d’être de plein pied. Nous sommes comme n’importe qui, ni plus ni moins. Ne pas arriver avec tout un attirail qui nous met en surplomb comme c’est difficile. Il y a le surplomb de la technique, de la commisération, de l’apitoiement. Mais on regarde toujours de haut ; comment se faire l’égal, le traiter en égal de plein pied ? Quand je me tiens en présence de quelqu’un, à quelle hauteur je me tiens en moi ? Le chemin de fraternité le plus sûr est dans la prise de conscience de notre condition commune. Reconnaître que notre commune misère, notre solidarité dans l’humaine condition passe par la prise en considération en soi de nos souffrances, de nos blessures qui nous mettent de plein pied avec celui qui est le blessé, qui est le souffrant que je visite. Sans ce réalisme je resterai à distance, il s’agit de l’aimer comme je m’aime moi-même et la compassion est un chemin rude de réalisme envers soi-même, d’accueil, d’amour, de miséricorde envers soi-même envers ses limites, ses souffrances, ses blessures.
Comme en toute chose il nous faut donc contempler le Christ pour entrer dans l’attitude la plus humaine, pour comprendre notre humanité et ce en quoi devenir un être de compassion nous fait plus humain avec lui. Il me semble qu’il apprend cela à Pierre dans les jours de la passion. Au départ il lui dit bien : « là où je vais tu ne peux venir. » Et Pierre fait cette expérience criante de ne pas en être dans le fond et, le regard croisé dans la cour, le met en compassion de lui et c’est bien sur lui qu’il pleure, éprouvant enfin sa misère. Le lavement des pieds avait symbolisé cela et il n’avait pas compris comme d’habitude. Pourtant le Christ c’était mis à la bonne hauteur. Pour avoir part, il faut commencer par le plus bas, par le moins digne. Pour être à la bonne hauteur avec l’autre, il faut, comme le dit l’apôtre, le considérait « comme supérieur à nous », « tous les autres » insiste-t-il. C’est pourquoi il nous faut devenir un enfant et voir les gens par en bas, c’est là que l’on y gagne en bonne distance, que l’on se trouve enfin de plein pied !
Le plus difficile est la compassion avec le mourrant car là tout est redoublé parce qu’il n’y a pas d’issue. La compassion est la plus dure dans les situations d’impasses.
Qu’est-ce que l’on demande finalement ? D’être mis avec le Christ sur la croix ! En lieu et place avec lui ! Incroyable chemin où nous conduit son amitié, là où dans l’instant unique Pierre ne pouvait le suivre voilà qu’il lui donne d’y être à son tour conduit « un autre te mènera là où tu ne voulait pas aller »… En lieu et place... telle est la compassion dernière qu’il nous offre comme chemin de compagnonnage. Mais ici, comme à la croix, le silence doit se faire grandissant et il n’y plus rien à dire sinon : « entre tes mains je remets mon esprit. » et consentir à ne plus comprendre mais à être compris - du dedans - pour devenir, s’il est possible un jour, lumineux de cette présence.
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