vendredi 18 avril 2008

La joie


D’abord l’enfant et son rire : ici la joie est comme une irruption de l’exubérance de la vie. Et il y a des rires d’enfants si cristallins ! Bien sûr les enfants n’ont pas que des qualités ...

La joie que nous donnent les enfants à un goût tout à fait particulier. Je pense à ce père de famille à qui je demandais ce que cela lui faisait d’être papa et qui me répondais devant sa femme médusée : « je ne croyais pas que je pouvais autant aimer ! » Je pense à une de mes filleules de cinq ans et demi que je quittais après trois jours de détente passés ensemble chez ses parents à qui je demandais « tu voudras que je revienne ? » comme pour me rassurer que le courant était passé et qui me répondait « non » et après un court instant continuer en disant : « je ne veux pas que tu partes ! » La joie qui fait craquer, qui nous attendrit, qui met de la tendresse dans la dureté de nos cœurs.

Dans la rencontre des hommes et des femmes qui se préparent au mariage on est mis devant la joie profonde d’êtres qui se découvrent en découvrant le don que l’autre leur fait de sa propre vie. C’est la première fécondité du couple celle où l’un et l’autre éprouvent qu’ils sont davantage eux-mêmes, davantage vivants : « voici l’os de mes os, la chair de ma chair ! » semblables et différents proches et complémentaires. Sans toi je ne suis pas moi ! Telle est la joie des amoureux.

Toutes ses joies sont appelées à passer au creuset de la frustration, du manque, de cette expérience qui ouvre en nous un vrai espace de liberté lorsque nous percevons que l’autre est autre, qu’il n’est pas en fonction de moi mais pour un autre. Les parents et toux ceux qui ont la grâce de travailler dans une œuvre éducative, de quel ordre qu’elle soit, apprennent que la joie la plus profonde n’est pas dans le constat qu’on a réussi à donner une bonne éducation, la foi et le reste mais que celui qui a fait notre joie parce qu’il venait de nous, a capacité, à son tour, de faire venir de lui de manière originale : il est un vivant qui rend vivant à son tour et cela ne dépend plus de nous !

Dieu crée en séparant et tout éducateur est appelé à vivre cette séparation pour éprouver la joie de voir l’autre être lui-même à son tour et vivre sa vie ! Il faut laisser partir, il faut quitter, il faut vivre l’absence et une certaine forme d’oubli. On apprend ainsi à aimer plus qu’à être aimé. C’est le P. de Caussade qui écrit : « on l’aimait un peu pour ses dons, ses dons n’étant plus aperçus, on en vient enfin à ne l’aimer que pour lui-même. »

Cette expérience humaine le Christ la mène à sa perfection. En Marie exultante au jour de la visitation, transpercée lorsque dés le départ elle sait que son enfant est donné pour le salut de toutes les nations, la joie traverse la surprise de Cana où elle est exaucée en premier, l’errance dans les bourgs et les villages où il semble avoir perdu la tête. En Marie Jésus révèle ce qui, à l’origine, lui a donné de consentir : sa foi en sa parole et son bonheur est d’être « celle qui a cru ». A la passion, elle doit lâcher ce corps reçu une seconde fois pour qu’il lui soit enfin rendu tout entier de la part de Dieu et c’est elle qui commence à naître en lui comme la mère de tous les autres. Au matin de la résurrection l’annonce la rejoint en premier puisque tout son consentement était à Dieu dés le commencement et elle trouve son Seigneur magnifique à jamais. Elle était sauvée par anticipation et elle voit par avance le chemin de résurrection pour Abraham et sa race à jamais. En elle, la joie est parfaite comme il l’avait promis et l’Eglise pressent qu’elle en sera. Elle n’a pas besoin du même type d’apparition que les apôtres à cause de cette avance que Dieu lui avait donnée, elle reste ce jour-là encore la Vierge de l’Annonciation. Elle est déjà dans le temps de l’absence, dans le temps de l’attente, dans le temps du grand désir : « Marana tha, Viens notre Seigneur » (Apo 22, 20) et comme elle est dans les savoirs du Père, elle entend pour elle et pour l’Eglise : « Oui je viens bientôt » (Apo 22, 21). La joie de Marie est toute décentrée, plus rien n’existe que celui que Dieu a ressuscité d’entre les morts pour être le premier d’une multitude de frères. Il est devenu « l’étoile brillante du matin » (Apo 22, 16) et il chante : « Je suis l’alpha et l’oméga le commencement et la fin» (Apo 22, 13). C’est en Lui désormais qu’elle se tient, c’est de lui qu’elle est joyeuse, elle est toute à la joie de sa joie.

jeudi 17 avril 2008

La compassion

C’est une réalité difficile à vivre, c’est un sentiment intérieur que l’on ne peut se donner. On sait bien qu’on peut avoir dans ce domaine des attitudes forcées. La relation à celui et à celle qui est dans le malheur, la maladie, dans l’agonie alors que moi je suis en bonne santé, vivant et finalement sans trop de problème est une relation périlleuse. Elle me met comme en déséquilibre, comme en porte à faux. Il suffit de penser à notre mal à l’aise quand nous allons voir certains malades. Se révèlent alors en nous des peurs de toutes sortes :
La peur de l’inefficacité : on ne sait quoi faire ; on est mis devant l’inutilité de la question du comment : « ça va ? » ; on meuble, on est gaffeur.
La peur de ne pas savoir quoi dire nous fait cumuler parfois les maladresses, le pire est de ne pas s’en apercevoir, si on était lucide on les verrait dans le regard de celui que l’on visite.
La peur de la froideur, de rester insensible : c’est quelquefois terrifiant d’expérimenter que l’on n’éprouve rien devant le malheur des autres et même et surtout de gens qui nous sont chers. Serais-je bouleversé ou simplement attristé ou pire dur en moi-même ?
La peur de ne pas tenir, de s’écrouler, la peur qui va jusqu’au refus de voir la mort en face.

La compassion aujourd’hui se donne en spectacle. La misère du monde est un lieu formidable de déploiement de générosité : Sidaction, Téléthon et autres grands manifestations où l’on voit des gens de toutes conditions y mettre du leur pour faire grossir la masse d’euros qui aidera à trouver la solution. On expose des malades, on met en scène pour faire cracher au bassinet. Il y a eu pendant quelques années la vague de l’humanitaire et de ses bateaux de riz aux échecs retentissants. On a dénoncé cette charité spectacle, nouvelle bonne conscience médiatique ; à chacun ses bonnes œuvres, ces dames d’œuvres, ces collectes de charité, ces bols de riz prétextes. Mais à longueur de journée ont voit le malheur faire la une ! Notre petit écran déverse tout cela à profusion. Comment compatir avec toute cette misère, avec tous ces humains, avec toutes ses situations catastrophiques ? Nous sommes débordés totalement et c’est l’indifférence qui risque gagner du terrain. A la rigueur nous pourrions être indignés mais demain nous devrons passer à une autre indignation.

La compassion est d’un autre nature. C'est être avec l’autre dans sa souffrance, dans sa passion. Il me semble que c’est une question de positionnement, de hauteur ou plutôt il s'agit d’être de plein pied. Nous sommes comme n’importe qui, ni plus ni moins. Ne pas arriver avec tout un attirail qui nous met en surplomb comme c’est difficile. Il y a le surplomb de la technique, de la commisération, de l’apitoiement. Mais on regarde toujours de haut ; comment se faire l’égal, le traiter en égal de plein pied ? Quand je me tiens en présence de quelqu’un, à quelle hauteur je me tiens en moi ? Le chemin de fraternité le plus sûr est dans la prise de conscience de notre condition commune. Reconnaître que notre commune misère, notre solidarité dans l’humaine condition passe par la prise en considération en soi de nos souffrances, de nos blessures qui nous mettent de plein pied avec celui qui est le blessé, qui est le souffrant que je visite. Sans ce réalisme je resterai à distance, il s’agit de l’aimer comme je m’aime moi-même et la compassion est un chemin rude de réalisme envers soi-même, d’accueil, d’amour, de miséricorde envers soi-même envers ses limites, ses souffrances, ses blessures.
Comme en toute chose il nous faut donc contempler le Christ pour entrer dans l’attitude la plus humaine, pour comprendre notre humanité et ce en quoi devenir un être de compassion nous fait plus humain avec lui. Il me semble qu’il apprend cela à Pierre dans les jours de la passion. Au départ il lui dit bien : « là où je vais tu ne peux venir. » Et Pierre fait cette expérience criante de ne pas en être dans le fond et, le regard croisé dans la cour, le met en compassion de lui et c’est bien sur lui qu’il pleure, éprouvant enfin sa misère. Le lavement des pieds avait symbolisé cela et il n’avait pas compris comme d’habitude. Pourtant le Christ c’était mis à la bonne hauteur. Pour avoir part, il faut commencer par le plus bas, par le moins digne. Pour être à la bonne hauteur avec l’autre, il faut, comme le dit l’apôtre, le considérait « comme supérieur à nous », « tous les autres » insiste-t-il. C’est pourquoi il nous faut devenir un enfant et voir les gens par en bas, c’est là que l’on y gagne en bonne distance, que l’on se trouve enfin de plein pied !

Le plus difficile est la compassion avec le mourrant car là tout est redoublé parce qu’il n’y a pas d’issue. La compassion est la plus dure dans les situations d’impasses.
Qu’est-ce que l’on demande finalement ? D’être mis avec le Christ sur la croix ! En lieu et place avec lui ! Incroyable chemin où nous conduit son amitié, là où dans l’instant unique Pierre ne pouvait le suivre voilà qu’il lui donne d’y être à son tour conduit « un autre te mènera là où tu ne voulait pas aller »… En lieu et place... telle est la compassion dernière qu’il nous offre comme chemin de compagnonnage. Mais ici, comme à la croix, le silence doit se faire grandissant et il n’y plus rien à dire sinon : « entre tes mains je remets mon esprit. » et consentir à ne plus comprendre mais à être compris - du dedans - pour devenir, s’il est possible un jour, lumineux de cette présence.

mercredi 16 avril 2008

Contempler le Christ


La vie des apôtres est une vie toute entière sous le regard du Christ, dans le regard du Christ. La vie des apôtres est un apprentissage continuel de l'attitude de contemplation : trois ans dans la présence réelle et corporelle du Verbe de Dieu, trois ans dans le compagnonnage du Fils Unique. Jean le baptiste, le précurseur, celui qui pose son regard sur le Christ qui passait, se trouve établit par ce regard même comme compagnon de l'Epoux : "Ils vinrent trouver Jean et lui dirent : " Rabbi, celui qui était avec toi de l'autre côté du Jourdain, celui à qui tu as rendu témoignage, le voilà qui baptise et tous viennent à lui ! "Jean répondit : " Un homme ne peut rien recevoir, si cela ne lui a été donné du ciel. Vous-mêmes, vous m'êtes témoins que j'ai dit : "Je ne suis pas le Christ, mais je suis envoyé devant lui. " Qui a l'épouse est l'époux ; mais l'ami de l'époux qui se tient là et qui l'entend, est ravi de joie à la voix de l'époux. Telle est ma joie, et elle est complète. " (Jean 3, 26-36)

La vie ecclésiale faite de vie fraternelle, de prière et de louanges partagées, écoute de la Parole et d'intériorisation de ses appels creuse en nous le désir d'être humblement un disciple du Christ. Il ne s'agit pas de faire des progrès, il s'agit de progresser vers le Christ, d'être avec le Christ, de suivre le Christ. Insensiblement la pratique de la vie baptismale me décentre de tout souci de moi-même ; s'il en reste toujours un peu quelque chose, peu importe, puisque j'ai le désir de demeurer en lui et qu'il demeure en moi. La prière de contemplation va nous adapter à cette recherche renouvelée.

La rencontre aimante du Seigneur consiste à le regarder longuement, à le regarder dans tous les détails pour mettre nos pas dans ses pas, pour ne rien perdre de sa trace. La prière va chercher à entrer dans son histoire pour que mon histoire soit un reflet de Lui. L'attitude intérieure va se faire écoute attentive, observation des gestes, des attitudes, des déplacements, des réactions qu'il a eu sur les chemins de Palestine, dans les bourgs et les villages où il est passé, dans la ville de Jérusalem puisque ce qu'il a montré là, c'est ce qu'il est éternellement avec son Père grâce à l'Esprit Saint. Le rejoindre là, me tenir là, avec lui, auprès de lui pour le servir en tous ses besoins.

Je regarde qui est là : Jésus et tous les personnages de cette scène évangélique.

J'écoute ce qu'ils disent, j'observe ce qu'ils font et chaque fois ce que je vois, ce que j'entends, ce que j'observe, je le laisse se réfléchir sur moi comme si la lumière qui se dégage de ce tableau voulait éclairer, donner des couleurs à ma vie. Il ne s'agit pas de regarder ce que le Christ vit et ensuite de regarder ce que j'en vis ou comment je pourrais le vivre; une telle attitude serait comme un processus de photocopie, mais l'Evangile n'est pas un magasin de prêt à porter, c'est plutôt du sur-mesure. Il ne s'agit pas d'appliquer l'Evangile comme on s'applique une crème de beauté, il s'agit de s'appliquer à être là où il est. Il ne s'agit pas de tirer l'Evangile à soi, mais de se laisser attirer par le Christ comme une séduction profonde de l'être , comme une contamination. L'Evangile n'est pas un petit livre rouge ou bleu à appliquer mais c'est un lieu de rencontre pour pratiquer la fréquentation du Christ.

Les dromadaires de Sebba ! novembre 2007

Etienne et Damien ont commencé avant moi ! Redoutable !

Les enfants ont pris la plume en premier. La barre est haute. Ecrire après l’enfant : un vrai retour. L’écriture à nouveau comme une naissance. Le désert se donne comme l’encrier de l’âme ; il en sortira un désir renouvelé !

C’est la promesse du jour qui s’est couchée sur Sebha.

La lune par le hublot est pleine, elle sera notre lampadaire de chaque soir.

En parlant dans la tête et dans le cœur la plume s’est mise en route.

Bébert et Luc, Jef et Béa, Marie, Olivier, Etienne et Damien ont enjambé les mers pour prendre un bain de sable.

Dans quel sens avez-vous passé la frontière ? Comme un européen qui va en Afrique ou comme un Africain arrivant en Europe. Si vous voulez apprécier la rapidité des formalités à la frontière (près de deux heures) mettez-vous dans la posture de l’Africain et regardez attentivement, vous aurez même le temps de faire un tarot en attendant tous les tampons, avec en prime les conseils des douaniers.

Marie, Etienne, Damien firent la découverte de l’humour libyen, on les trouvait trop jeunes pour marcher dans le désert.

Sur le parking de l’aérogare un repas nous attendait : une bonne soupe de légumes, quelques nouilles chaudes, les premières dattes et nous voilà embarqués dans trois 4X4.

Après la grande route éclairée qui nous fait sortir Sebha, nous nous enfonçons dans les premières dunes. Il y a du vent, c’est deux heures du matin. La tente Allibert nous abrite pour la première nuit trop courte. Les Maraud résistent bien sûr et eurent leur première nuit étoilée.

La nuit de pleine lune inviterait à l’éveil fasciné devant tant de clarté retenue. Mais la fatigue du jour nous entraîne jusqu’au lever du soleil.

La nuit fut somptueuse. La lune donne sa couleur dorée à la terre. Mais je suis déjà à la deuxième nuit sous les étoiles au bord du lac salé. Que ne reste-t-il d’hier déjà si loin. La première salade Allibert, sous les tamaris, aux légumes frais préparés par Saïd, le franchissement de l’erg à moteurs forcés, la longue traversée dunes après dunes, de toutes formes, aux couleurs changeantes, le premier lac asséché et sa boue salée qui fait des briques à construire et à transporter, enfin Oum El Ma, la « maman de l’eau » dont nous ferons un premier côté avant le délicieux couscous de Saïd. Etranges eaux salées dans une mer de sable entourée de palmiers et de roseaux presque immobiles. Nous y verrons un crocodile, mais Etienne ne nous suivra pas dans cette vision.

Et la nuit revient avec son manteau étoilé.

Je dors enfin longtemps, la nuit du désert me répare et fait son travail que les nuits de Bordeaux n’ont su opérer.

Au matin nous faisons le tour par l’autre côté du lac sur les traces du fennec, du chacal, de la gerboise, des souris, du corbeau. Le sable garde mémoire un instant des passages de la nuit, le vent en effacera la trace et demain paraîtra neuf.

Le lac est un miroir totalement immobile, le reflet semble plus vrai que le sujet, premier mirage du jour.

Dodo remplit son chèche de dattes qu’il offrira aux cinq autres coéquipiers qui nous assurent un confort maximum dans des conditions minimales.

Retraversée de l’erg, plongée dans le sable en forme de pyramide, quelques traces blanches de sel et nous nous arrêtons dans la vallée pour la salade Allibert aux fèves délicieuses.

La montée sur le reg se fait en fin d’après-midi, la chaleur est forte encore, on va vers le sud, il y fera de plus en plus chaud. Les 4X4 nous amènent en train d’enfer sur un immense reg : 60 km de traversée de rien, du rien à perte de vue et soudain un vieil acacia étonné d’être là, un buisson qui n’en revient pas d’être si isolé, et encore rien jusqu’à la barrière des coloquintes par milliers.

Ramassage de bois et bagarre de coloquintes avant d’arriver au creux des dunes par le soleil couchant, magnifique disque qui s’enfonce en terre jusqu’à demain si Dieu le veut.

Le sable se pare des couleurs chaudes du soir, l’orange domine.

Le repas se prépare, les artistes décorent aux tisons les coloquintes rescapées.

La première étoile vient nous dire bonsoir. C’est grandiose, le vent est doux.

J’adore ces grandes étendues de rien où la moindre chose apparaît toute entière. On a envie que l’intérieur soit ainsi fait de rien pour que le moindre détail apparaisse comme le cadeau de Dieu. Il fait beau à l’intérieur. Le désert a cette belle vertu : il débarrasse.

Aujourd’hui j’ai pu dormir à toutes les haltes, le désert emporte ma fatigue des jours encombrés de tout.

La nuit n’est plus de pleine lune, elle a perdu sa lumière et tend désormais vers la grisaille du dernier décan.

On prend le temps du réveil eu milieu des dunes. Etienne et les autres vont rouler et courir depuis le haut des dunes, il y a du sable à perte de vue.

Nous marchons un peu pour admirer, et les 4X4 nous emmènent sur le reg blanc, on devine à côté le reg noir que l’on va bientôt prendre pour aller voir les gravures rupestres. Douze mille ans nous séparent des plus anciennes. Eléphants, autruches, girafes, crocodiles, rhinocéros sont les traces d’une vie disparue.

Le désert nous donne la vie dans les traces qu’elle laisse et qui traversent les âges. Pour le reste c’est toujours rien à perte de vue « A la mesure sans mesure de ton immensité, tu nous manques Seigneur » dit le cantique.

Le désert repousse la limite, ces grands plateaux de pierres noires ou de sable repoussent à l’horizon le point d’arrêt, on pourrait rouler ainsi des siècles sans atteindre le bord. L’infini est inscrit au bout de l’horizon des hommes.

Seul un arbre seul arrête un instant la course sans fin du regard et l’acacia têtu au milieu de rien dit l’obstination à écrire malgré tout quelques hiéroglyphes qui laissent d’autres traces venues des créatures.

Le soir Dodo nous montre, au bivouac, celles du chameau, de la gazelle, du lézard, la maison écroulée sur son monticule en cas d’inondation d’un autre âge.

Le soleil, ce soir, se cache pour dormir, les nuages en gardent la couleur rouge.

Un bout de bois pétrifié redonne encore des traces.

Décidément j’ai cru aujourd’hui que le blanc et le noir me parleraient des choses tranchées, à trancher, il faudrait faire la différence.

Ce soir c’est la trace qui touche en moi la vie des hommes et la trace de l’infini de Dieu, la trace qu’il faut suivre en traversant le blanc et le noir, la trace qu’il faut déchiffrer, la trace qui ouvre un autre voyage celui du rêve de l’humanité qui s’obstine à vivre ?

Pendant ce temps les enfants jouent à s’enterrer !

J’allais oublier le vol de perdrix au puits. Des images de plats succulents viennent à mes lèvres. C’est sûr, je ferai le repas du retour !

La nuit fut d’un seul tenant ! La lune en plein milieu du ciel tient jusqu’au matin après le coucher des étoiles, l’œil de l’enfant la nomma étonné.

Une heure de marche permet à nos guides de faire du bois pour la journée.

Nous suivrons la trace de la gazelle, on en comptera jusqu’à quatre dans le fond de l’oued ; son sillon s’est bien rétréci mais sur la plus grande entaille, quelques gravures rupestres marquent la limite des grandes eaux.

Nous prenons l’oued pour sortir du plateau, la rivière a creusé un lit de plus en plus large.

Le paysage évoque le Colorado, on roule ainsi presque deux heures avant d’aboutir sur une grande plaine aux bords de bout du monde, toujours rien à l’horizon, rien, la mer que voient nos yeux semble l’extrême limite de la terre après y aura-t-il quelque chose ?

On roule de bord en bord d’horizon, puis peu à peu une légère couleur pastel, dans les saumon clair, barre l’horizon nous allons traverser des rangées de dunes, on est à nouveau immergés dans le sable.

Au loin l’Akakus se dessine un peu sombre au sommet d’une dune brûlante. Dodo nous donne quelque indications avant d’aborder le massif vers la gauche : le Tibesti, en face Ghât.

Nous voici partis à la recherche d’un point d’ombre pour la salade de midi.

On entre au pays du noir et de l’orange, de la pierre et du sable, des géants en équilibre, des génies en forme d’humains ou d’un bestiaire imaginaire.

Le point d’eau sert de salle de douche, Ahmed donne le départ et tous shampooingnent leur chevelure hirsute et l’on reprend la course dans la splendeur.

Les voitures nous donnent le temps pour marcher. Le temps de voir les géodes, les couleurs qui deviennent profondes quand le soleil décline. On monte la grande dune et assis on écoute le chant des Béatitudes. On y est admis par la grâce de la création. On resterait là si… j’ai envie de me raser pour être propre face à cette beauté, encore une histoire de séduction, éternelle histoire du ravissement qui risque s’arrêter, mais il faut prendre la route et voir plus loin ce qui nous a été préparé sans qu’on y soit pour rien.

La première arche avait trois pieds, comme si un mammouth était rentré dans la falaise, et on ne voyait plus que son énorme derrière ; nous marchons trois heures d’arche en arche sous le soleil de plus en plus ardent, d’ombre en ombre - « à l’ombre de tes ailes, je trouve la fraîcheur » doit dire un psaume quelque part - de moulin en moulin, de creuset et creuset pour le grain, le feu, le vin, le linge.

L’akakus nous ouvre à ses fantômes de champignons énormes, de tours crénelées, de bonhommes aux mille positions ; toujours le noir et l’orange, l’acacia solitaire, l’euphorbe et ses fruits éclatés, le désert nous entre par la soif et la beauté.

Dodo nous guide doucement en bon maître d’école. Il fait bon s’arrêter pour la salade de chaque jour ; refaire quelques forces, déjà on sait que la nuit sera bonne, mais les 4X4 l’après-midi nous conduiront vers d’autres arches.

La grande majestueuse, celle à plusieurs piliers comme une cathédrale et nous découvrons les peintres du désert 6000 ans, 8000 ans nous séparent de ces peintres rupestres aux couleurs rouge, nous redonnant la vie enfouie du fond des âges, les bergers, le chameau et son chien, des vaches et des bœufs, des antilopes, mais sur les gravures, les âges s’enchevêtrent.

Je ne sais plus si je suis dans un monde cassé de partout, démoli, en ruine, aux pierres si fragiles que tout va se réduire, un grain de sable qui prend les grosses dents noires d’assaut, pour les ensevelir, monde ancien à jamais derrière nous qui intéresse si peu les enfants, une peinture rupestre ça va, mais à la quatrième tout ça est bien barbant.

Mais si c’était le premier jour du commencement du monde, et si il n’y avait eu jusqu’alors que des balbutiements, quelques tâches, indices de ce qui germait dans les cœurs, les esprits et qui éveillait l’âme, et si les modules qui jonchent le fond des mers des sables après les océans indiquaient ce commencement toujours à l’œuvre comme une création.

Et si cet amas qui, à perte de vue renvoie de la beauté, creusait un supplément d’âme où à partir de rien on va enfin trouver un vrai chemin d’humanité débarrassée des choses pour sortir d’elle-même, ouvrir grand les yeux et chanter doucement, fortement l’allégresse de la vie toujours première.

Le soleil réapparaît pour notre dernier coucher dans le désert, comme s’il voulait nous dire au revoir ; tout ce jour il s’est caché derrière les nuages gris, pourtant, l’autre matin, il nous avait montré son art de peintre et avant de paraître il avait déployé ses plus belles parures, un instant on pouvait croire qu’il avait pris les couleurs du sable ; au petit matin alors que le sol était encore dans la grisaille de la nuit, les nuages avaient pris des couleurs orangées comme un monde renversé quelques minutes et la lumière envahissante progressivement noyait tout dans son éclat.

Aujourd’hui rien de tel pour sortir du Tatrard et traverser l’Akakus, le ciel était sombre sûrement de nous voir partir, ou bien pour nous faire découvrir les couleurs des peintures rupestres qui jalonnaient notre chemin, les traits fins de plus de 6000 ans, nous reconstituaient une noce, un combat, des bœufs tirant des chars, la girafe, les chiens, les femmes et les guerriers.

L’Akakus revêt ce soir au soleil couchant sur la plaine au doigt pointé vers le ciel, comme un voile et demain ce sera dans nos yeux que le noir et l’orange, le brun foncé et le sable clair joueront pour mettre en scène entre les gros blocs de grès noirs oxydés par le temps des personnages mi-géants, mi-fantômes posés comme en attente de résurrection, des corps pétrifiés posés sur le sable entre lesquels sillonnent les 4X4 !

Une méharée est arrêtée à un site rupestre, de quoi nous faire envie pour un prochain voyage, mais il faudra que j’apprenne à guérir du mal de chameau.

Saïd prépare le repas, il nous aura bien soignés, midi, matin et soir jusqu’au pain grillé, il ne manquait plus que les croissants.

Ahmed, le rigolo, Chabani le rieur, Amdam le sage conduisaient nos 4X4 ; leurs rires, les salutations échangées avec les autres touaregs croisés sur ces routes, leurs chants joyeux le soir autour du feu de camp à l’aide de bidons transformés en tambours avec les chèche blanc, la course par moment pour jouer sur les grandes étendues, mais la voiture de Dodo est toujours laissée en premier, trois joyeux drilles qui, avec Saïd l’élégant et Dodo notre maître à tous, ont su nous donner un petit air de la joie de vivre des Touaregs, de leur grande gentillesse et de leur belle hospitalité.

Nos trois plus jeunes Marie, Damien et Etienne ont bien sympathisé entre eux et avec eux et ils emportent au moins pour quelques jours un nombre impressionnant de mots arabes, peut-être même quelques uns en touareg. Leurs rires et leurs chants ont résonné dans la nuit pendant que le sommeil m’emportait.

Edriss, l’œil de Tripoli, s’y est mis progressivement et a joué avec les enfants. Je serai curieux de voir ce qu’il a noté de notre groupe sur son rapport aux autorités ?

Dodo et son chèche blanc et sa gandoura verte nous a introduits lentement, savamment, avec doigté, j’ai même eu hier soir l’honneur de servir le repas avec lui, il avait compris je pense ce que je faisais dans la vie.

Olivier était entre les vieux et les enfants, il a été avec les uns et les autres, l’appel de « Maman » restait le lien. Enfin Bordeaux n’est plus très loin et la belle vie va pouvoir commencer…

La veillée fut de chants et même un beau (paraît-il) sur Marie. Ahmed se serait lâché ; les jours précédents, la veillée fut de contes et d’énigmes.

Pour connaître le conte du chacal et des pintades, prenez rendez-vous avec Dodo dans un coin de l’Akakus le soir au feu de bois, il ira même jusqu’à vous pour l’énigme du bonhomme trouvé nu et mort sur le chemin avec un brin de paille dans la main ; pour la réponse, même adresse, je vous la recommande.

La nuit fut courte et la lune, du moins ce qu’il en restait, brillait encore fort lorsque Dodo sonna le réveil sur la timbale. Il fallait s’arracher au sable, on décida de faire grève et de rester, mais il nous fallut toute la journée pour rejoindre Sebbah, la route est immensément droite, sur des centaines de kilomètres entre Ghat et Ubarri, deux virages un à droite, l’autre à gauche.

On forme un train de minibus Allibert pour remonter vers le Nord groupés.

Dodo et Edriss nous accompagnent jusqu’au bout. Des voitures nous voyant le Mezzat sur lequel nous avons circulé deux jours, quelques torchères sur la gauche se font discrètes. Ubarri, gros centre commercial, Germa à nouveau et le camping pour la douche, le bruit, la télévision… on nous réintègre peu à peu dans l’univers familier.

« Qui fait un tarot ? » la voix de Damien résonne dans la salle d’embarquement. Son appel a résonné à chaque étape de chaque jour ; il est souvent arrivé à ses fins, Marie n’était pas le dernière.

Paris Charles de Gaulle est à 3h 30 avec le froid. Le tadrard est en direction de Sabah, alors après les dromadaires de Sebah peut-être (Inch Allah !) verrons-nous ceux de Saba ?

mardi 15 avril 2008

Le mariage chemin de Liberté


la décision de se donner à quelqu’un est, non seulement l’expression d’une liberté, mais également le début d’un chemin de liberté.
Plus de 122 000 mariages sont célébrés chaque année en France dans les paroisses catholiques. Plus de 50 % des mariages civils. Lors de la célébration de ce sacrement, le prêtre s'adresse ainsi aux fiancés : " Vous avez écouté la Parole de Dieu qui a révélé aux hommes le sens de l'amour et du mariage. Vous allez vous engager l'un vers l'autre. Est-ce librement et sans contrainte ? "
Il s'agit bien donc de liberté, d'une liberté constatée, d'une liberté à construire. Que de fois j'entends les copains d'un futur marié le chahuter en disant : " ça y est, tu vas avoir la corde au cou ! " Que de fois, les réflexions spontanées des jeunes, et des moins jeunes, évoquent le mariage comme une contrainte, comme un lieu de restriction, comme une expérience d'empêchement. La proposition de Dieu est tout le contraire et c'est étonnant. C'est toujours étonnant de considérer que la décision de se donner à quelqu'un est, non seulement l'expression d'une liberté, mais également le début d'un chemin de liberté.
Pourquoi disons-nous qu'il s'agit là de liberté et non de devoirs et d'obligations? Parce qu'en vivant ainsi on expérimente comme un déploiement de notre être, on éprouve que l'on devient plus véritablement soi-même, on perçoit une plénitude. Et l'on est d'autant plus libre, que l'on est humble, c'est-à-dire que l'on éprouve que l'on est bien à sa place, et que l'on donne à l'autre toute sa place, sans l'étouffer, sans le réduire, sans se diminuer; simplement soi-même. Sur ce chemin de liberté, le Christ nous invite à sa rencontre, et nous offre sa propre liberté comme chemin de vie.
Aimer, pour le Christ a le goût de la liberté. L'amour qui rend libre est cette attitude décidée où l'autre et son bonheur est au centre de notre préoccupation. Etre libre, c'est devenir serviteur du bonheur de l'autre. Oui, l'amour qui rend libre est essentiellement dans le don total de soi. C'est des grands mots, mais pour désigner des attitudes simples, des comportements humbles et quotidiens. Saint Paul les énumère : "Joie, paix, patience, affabilité, bonté, fidélité, douceur, tempérance."
Le témoignage de la liberté est un des services essentiels que les disciples du Christ peuvent rendre à leurs contemporains. Nous percevons bien, à travers les nombreuses difficultés que rencontrent beaucoup de couples qui se disloquent, et très vite après leur engagement alors que la plupart ont pu vivre de longues années préalables ensemble, combien le jeu des affections, des désirs, des passions peut être prison insupportable dont on cherche à s'échapper, parce que, à la suite du Christ, nous expérimentons que la vraie liberté est de l'ordre du don absolu et non de la reprise, parce que nous proposons une manière de vivre qui construit une vraie humanité en nous.