Cette parabole des talents, nous la connaissons si bien ! Depuis que nous sommes enfants, nous l’entendons comme une invitation à reconnaître et à faire fructifier les talents que nous avons reçus. Pourtant cette histoire produit parfois chez ceux qui l’entendent un effet paradoxal : elle nous fait peur… Car nous pouvons y entendre comme une injonction de produire du fruit ! « Si tu ne produis rien, si tu ne réussis pas, tu es inutile et tu seras jeté dehors ! » Nous pourrions être tentés d’y voir une condamnation de ceux qui se trouvent en échec, bons à rien, sans réussite. Il me semble que cette lecture-là - tellement contraire à l’Evangile - est plutôt tributaire de notre société de l’hyper réussite, de la compétitivité à tout prix, de la compétition permanente. Rien à voir avec l’Evangile !
Le message de Jésus est tout autre bien sûr. Ce n’est pas tant produire du fruit qui importe avant tout. L’essentiel est ailleurs. Pour trouver cet essentiel, posons-nous la question : quelle est la différence entre les deux premiers serviteurs - ceux dont les talents se sont multipliés – et le troisième dont le talent n’a rien porté aucun fruit ? La différence réside dans la manière dont ces hommes regardent leur maître. Le troisième serviteur le reconnaîtra lui-même : « J’ai eu peur… je savais que tu es un homme dur ». Mais qui lui a dit que son maître était un homme dur ?!? Tout cela est dans sa tête, dans son regard, dans son cœur.
Pourquoi donc les deux premiers serviteurs n’ont-ils pas réagi de la même manière ? La différence entre ces hommes n’est pas dans leur habileté ou le nombre de leurs talents mais plutôt dans la manière dont ils regardent leur maître. Si je regarde Dieu comme une puissance menaçante ; si je reçois la vie qu’il me donne comme un danger alors je ne vivrai que sur la défensive, dans la peur. Si je sais porter sur Dieu un autre regard ; si je le vois comme un Père aimant que veut me voir grandir ; si je sais recevoir la vie comme un don et une bénédiction, alors je porterai beaucoup de fruit quoi qu’il en soit des aléas que la vie me réserve. Cette parabole est une invitation à ne pas avoir peur ; à renouveler notre regard sur Dieu.
Au fond cette parabole nous place devant une alternative : vais-je vivre en sourdine, un peu comme on enfouit un trésor dans la terre par peur de le perdre ? Ou bien vais-je vivre sans peur de perdre, puisque de toutes les façons, il n’y a rien à perdre mais tout à gagner ?« Qui veut garder sa vie la perd mais qui perd sa vie à cause de moi, la sauvera ! » La vie que nous avons reçue de Dieu peut être perçue comme un danger ou comme une chance… à nous de choisir ! Dieu peut être regardé comme une menace ou comme un allié… à nous de choisir !
P. Pierre Alain LEJEUNE