lundi 26 décembre 2011
Conte de Noël
« Bonsoir », dit l’enfant au monsieur au milieu de l’allée à gauche, assis sur la chaise à l’odeur de paille neuve.
Le Monsieur se dit : « qu’est-ce qu’ils ont encore inventé ? Quand est-ce qu’on va chanter nos anges dans nos campagnes ?»
….
« Qui es-tu ? » dit l’enfant.
« Moi qui pensais ne pas me faire remarquer ! Il y a beaucoup de monde, je croyais passer inaperçu. »
« Où te caches-tu ? » dit l’enfant.
« On ne peut pas faire la trêve ! » pense le monsieur. « Une bonne petite trêve, pour laisser de côté les ennuis, la crise, les blessures, les peurs, une parenthèse quoi ! »
« Tu as peur ? » dit l’enfant.
« Il commence à me fatiguer les oreilles. Je venais avant le réveillon comme tous les ans. »
(Petit air à l’orgue)
« Bonsoir », dit l’enfant à la dame, qui avait hésité sur le choix du manteau, c’est vrai qu’il fait chaud à Notre Dame.
« Où j’en suis pour l’entrée ? Bon d’accord… ah ! J’ai oublié les petites cuillères.
Tiens cette année, ils n’ont pas mis la vierge de la même façon ! »
«Quand est-ce qu’ils vont arrêter de se parler ? » dit l’enfant.
«C’est curieux, comme ils sont en eux-mêmes.
Ils se plaignent d’avoir des soucis, ils n’arrêtent pas de se les raconter.
Il faudra que j’en parle à mon Père, pour voir ce qu’on peut faire, » dit l’enfant qui ne vivait que de confiance, malgré tous les soucis du monde.»
« Hé Monsieur, hé madame, on peut parler ? On peut se parler ? Je n’ai pas dit de te parler à toi-même, mais entrer en conversation ?”
« Où te caches-tu? » dit le monsieur.
« Au fond de toi » dit l’enfant.
« Qui es-tu ? » dit la dame
« Ton semblable ! » dit l’enfant.
« Bonsoir ! » dit l’enfant à l’enfant.
« Bonsoir » répondit l’enfant à l’enfant.
« Tu veux jouer avec les clochettes ? »
« Chouettes, on va bien s’amuser. »
samedi 24 décembre 2011
Autorisez-vous à faire l’âne avec Dieu !
Etes-vous tendance ? Vous savez que Dieu est désormais tendance au moins selon le Point… On nous l’avait annoncé mort avant de savoir qu’il était malade et voilà qu’il reviendrait à la mode. Pauvres de nous, pauvre de lui.
Mais, ce matin, alors que je confessais dans cette église, une jeune mariée de l’été dernier m’annonçait par SMS qu’ils attendaient un enfant pour le mois d’août, elle était ravie de mettre dans la confidence et moi je ne vous dis pas ! Les mots semblent bien petits pour exprimer la réalité profonde de la parole que cet homme et cette femme ont échangée. Voilà que cet échange donne naissance à quelqu’un, quelqu’un d’autre : magnifique Noël d’ouverture.
Chaque année nous passons ainsi de paroles creuses ou de circonstances, de paroles de bon ton aux paroles fortes qui construisent nos vies, des paroles qui fondent nos existences personnelles familiales, collectives.
Je vous propose en cette nuit d’accueillir la bonne nouvelle de Noël comme cette tentative ultime de Dieu à travers l’histoire humaine de nous adresser une parole vraie, une parole forte, une parole qui fonde nos vies. Dans la lettre aux Hébreux les premiers chrétiens ont ainsi accueilli le mystère de Noël : « Souvent, dans le passé, Dieu a parlé à nos pères par les prophètes sous des formes fragmentaires et variées ; mais, dans les derniers temps, dans ces jours où nous sommes, il nous a parlé par ce Fils qu'il a établi héritier de toutes choses et par qui il a créé les mondes. »
En cette fête en cette nuit, en ce moment, Dieu nous adresse une parole directe et cette parole c’est son fils né de Marie. Oui « le Verbe c’est fait chair » nous dit l’évangéliste saint Jean. Oui la parole de Dieu prend corps ! Il ne s’agit pas simplement de s’interroger sur l’existence ou la non-existence de Dieu, il s’agit d’accepter le dialogue que Dieu nous propose par la venue de cet enfant, dans ce temps de l’histoire, dans ce lieu précis de notre planète.
La parole, la conversation, la communication voilà qui est tout à la fois humain et divin.
Nos mots engagent, font mal, déroutent, blessent, réjouissent, apaisent, tuent ; on se fait piéger par nos bons mots, notre humour ; on est pris au mot. Quand Dieu prend la parole c’est quelqu’un, c’est Jésus de Nazareth, c’est une parole vraie qui engage l’avenir, une parole qui donne vie, c’est une parole où tout la personne est concernée. Oui, tout l’être de Dieu est concerné par cette parole qu’est l’enfant de la crèche. Les amoureux pressentent cela, le prêtre au jour de son ordination, le religieux ou la religieuse au jour de ses vœux. Chacun de nous, à chaque messe, le croit quand il entend la parole qui engage totalement le Christ dans le corps livré et le sang versé.
Qu’est-ce qu’il nous dit dans cet enfant qui ne peut encore prononcer les mots des hommes :
Dieu n’est pas dangereux, ce Dieu-là n’est pas fauteur de guerre, il n’est pas barbu comme un père Noël, il n’est pas donneur de leçon puisqu’il n’a encore que des vagissements de nourrissons. N’ayez donc aucune peur en vous, parlez à Dieu comme on parle à un enfant.
Dans cette parole qu’est l’enfant Jésus Dieu fait de la faiblesse son point fort, loin de la crèche les images redoutables de la puissance ; renoncez à toute puissance sur vous, sur les autres, il n’y a que la bonté et la beauté qui nous sauvent. Parlez-lui de vos faiblesses il sera en pays de connaissances et marchera avec vous.
Dieu fait éclore la joie dans les marges et non pas au centre de l’empire romain, à l’écart comme pour une confidence, sa naissance n’est proclamée que sur les toits des cieux et non sur les toits du monde. Elle n’est pas éclatante à la Jérusalem et à la Rome de ce temps-là. Ne regardez donc pas au centre des affaires, ne regardez pas votre nombril, regardez aux marges, au marginal, aux marginaux là où la vie se cherche un chemin pour éclore sans bruit. Parlez-lui de vos espérances, il en a pour l’univers entier et pour tous les hommes de bonne volonté.
Nous avons la fâcheuse habitude de nous parler, nous sommes si souvent en conversation avec nous-mêmes, nos pensées font en nous un bruit assourdissant. N’arrêtez pas de penser, ce n’est pas possible, quoiqu’on en dise, mais tourner vos pensées intérieures vers autre chose que vous-mêmes. Tourner vos pensées vers l’hôte intérieur. Finalement c’est nous la crèche ! Mais, si nous sommes la crèche, le lieu de naissance de Dieu, autorisez-vous à faire l’âne avec Dieu : c’est ce que l’on sait faire de mieux. Attention n’essayez pas de braire ça pourrait faire peur à l’enfant ; là dans la crèche, en vous, il a besoin surtout de chaleur humaine, ce lieu est si inhospitalier !
Oui Dieu a besoin de notre chaleur et tant d’être avec lui. Fournissez donc la paille !
Jean ROUET
mercredi 7 décembre 2011
Le temps qui court
« Vous devez être très pris, surtout avec l’approche des fêtes de Noël ! » Combien de fois par jour me fait-on cette réflexion ! J’avoue avoir de plus en plus de mal à l’entendre. Je dois donc donner l’image d’un homme sur bouqué ou bien l’image des prêtres est celle de personnes qui n’ont plus de temps et donc que l’on n’ose pas déranger : « ils sont tellement occupés » !!! Autrefois on disait fainéant comme un curé, on va finir par dire stressé comme un curé !
Le temps que l’on prend, le temps que l’on n’a plus, le temps après lequel on court, le temps que l’on ne trouve pas, le temps perdu et jamais retrouvé, j’en passe et des meilleures ; notre rapport au temps est un fameux problème.
Pour ma part, quand on me remercie d’avoir donné du temps, j’aime répondre que le temps n’appartient qu’à Dieu seul et que, finalement, la grâce des grâces c’est qu’il a mis fin à toutes choses. C’est pour moi, dans les moments les plus occupés, la meilleure parade intérieure. Si l’instant est à Lui, quelle source de paix ! L’avenir ne dépend pas de moi mais de ma manière de le recevoir et d’y adhérer de toutes mes forces.
J’aime beaucoup les réflexions de Thomas Kelly, quaker américain du début du 20éme siècle ami lointain de frère Laurent de la Résurrection franciscain du 17 éme siècle, et qui nous introduit à la contemplation de Dieu comme l’Eternel présent. Voilà l’idée : vivre au présent ! C’est un beau cadeau pour nos proches !
Jean ROUET
« Soyez dans la joie du seigneur, Soyez toujours dans la joie, le Seigneur est proche ! »
Paul fait écho à cette prière joyeuse de Marie: "Il est fidèle, le Dieu qui vous appelle : tout cela il l'accomplira." La joie est l’œuvre de Dieu en nous ; elle vient comme une grâce, comme un cadeau et nous donne de pressentir l’avenir avec espérance pour tous !
Jean-Baptiste jouissait d'une réputation telle qu'on s'est posé la question à son sujet. A toutes les questions, Jean-Baptiste répond en s’effaçant. On lui demande de se définir, on l’interroge sur son identité et il prend grand soin de se relativiser, de se mettre en relation, de désigner Celui qu’il cherche et pour lequel il vit.
Nous avons sous nos yeux les visages de deux disciples en marche, ils nous invitent à tendre nos vies vers le retour du Christ, de préparer nos cœurs à accueillir la joie pour tout le peuple, pour toute l’humanité. Tournés vers l’avenir, telle est l’attitude dans laquelle la joie qui vient de Dieu nous établie. Seigneur dirige notre joie vers la joie de ta venue !
Jean ROUET
samedi 12 novembre 2011
le troisième homme des talents
Il lui est impossible de vivre à partir du don, il pense en terme de propriétaire. Il lui semble impensable d'envisager sa vie comme une responsabilité, c'est à dire comme une réponse à un appel ; il ne veut pas avoir à rendre des comptes puisqu'il se vit comme le propriétaire de sa vie. Finalement il vit dans la peur d'être dépossédé de lui-même. Et la peur est la pire des choses, la peur est le contraire de la bonté. Elle met en doute la bonté fondamentale de Dieu. Elle est l'étouffoir le plus sûr de la vie. Elle dénature la réalité, elle ne fait voir que l'aspect difficile, ingrat, laborieux de l'existence. Elle cache la bonté fondamentale de toute créature et du Créateur. La peur est un poison violent qui obscurcit le regard et renvoie aux ténèbres. La peur rend fainéant, paresseux, inefficace, bon à rien. La fin si dure de la parabole est comme un antidote, comme un avertissement pour alerter notre sens de la responsabilité pour être responsable de notre vie, pour avoir une vie en réponse.
Jean ROUET
lundi 31 octobre 2011
Heureux ceux qui pleurent
En ces jours est ravivé le souvenir de ceux qui nous ont quittés. La souffrance, comme une plaie ouverte, revient en nos cœurs. Il faut l'audace du Christ pour se permettre de dire : "Heureux ceux qui pleurent ils seront consolés !" C’est comme s’il nous disait : " pleurez si vous en avez la force ; regardez autour de vous ceux qui pleurent ; interrogez vos profondeurs et ne réprimez pas votre envie de pleurer. Pleurer n'est pas une résignation. C'est un cri. Ce n'est pas une lâcheté, mais un appel au courage. C'est un acte de foi. Nous savons tous combien dans une douleur intense il est encore plus douloureux de ne pas pleurer que de pleurer, pleurer est une libération, c'est une réaction salutaire devant ce qui est trop pénible à supporter. Il vaut mieux ‘craquer’ que garder en soi. "
Regardons le Christ pleurer. Il pleure devant la ville de Jérusalem en voyant la misère matérielle et morale de cette cité qui le rejette. Jésus pleure devant la tombe de son ami Lazare. Il regarde la mort en face, il regarde un monde s'écrouler devant ses yeux. Il réagit par ce cri des larmes à tout ce qui bafoue l'amour et l'amitié. Il ne s'agit ici ni de sensiblerie ni de consolation à bon marché, il s'agit bien au contraire de s'insurger. Je pense en disant cela à tous ceux qui ont perdu un proche et notamment à ceux qui ont perdu un enfant. Il n'y a pas de peine plus cruelle que celle de la mort d'un enfant. Tout en nous s'insurge contre une telle "destinée" et à juste titre.
Avec la multitude de tous les saints est mis devant nos yeux le projet de Dieu : par son Fils Jésus, la mort n'est plus le dernier mot de l'homme, la mort est notre naissance en Dieu. Une telle foi n'est pas une résignation devant la fatalité. Il nous faut aller jusqu'au bout de nos pleurs et nous insurger devant nos irresponsabilités, il nous faut nous insurger devant le non sens de tant d'existences humaines sans travail et sans avenir, il nous faut nous insurger pour que l'on mette davantage de moyens financiers et humains dans la recherche contre les maladies que dans la courses aux armes les plus sophistiquées, il nous faut nous insurger devant les gaspillages de l'occident alors que les deux tiers de la planète sont dans la pénurie. Il nous faut nous insurger et non nous résigner. Voilà la vie que nous fêtons aujourd'hui, une vie qui aime en traversant les épreuves, une vie qui croit au bonheur au cœur même de l'épreuve.
Jean ROUET
"les pièges de l'autorité"
Qu'il s'agisse des parents, des autorités religieuses ou des autorités politiques, et bien d'autres les pièges sont les mêmes. Jésus les a tous rassemblés en faisant le portrait caricatural du pharisien.
Premier piège :"ils disent et ne font pas". Ce travers est si habituel que de nombreux commentaires juifs de la Bible insistaient sur l'importance de pratiquer ce qu'on enseignait. Jésus insiste :"Celui qui mettra en pratique les commandements et les enseignera, celui-là sera déclaré grand dans le Royaume des cieux". "Il ne suffit pas de me dire Seigneur, Seigneur, pour entrer dans le royaume des cieux ; il faut faire la volonté de mon Père qui est aux cieux".
Deuxième piège : pratiquer l'autorité comme une domination. "Ils lient de pesants fardeaux et en chargent les épaules des gens ; mais eux-mêmes ne veulent pas les remuer du doigt." L'avoir, le savoir, le pouvoir, peuvent être prétexte à domination ou à supériorité ; alors que cela peut aussi bien être vécu comme un simple moyen de servir les autres ; encore ne faudrait-il jamais oublier que tout ce que nous possédons nous est seulement confié comme une responsabilité à exercer au bénéfice de tous. Il y a pire encore, c'est d'asseoir son autorité sur un soi-disant "droit divin" : les religions n'y échappent pas toujours, les pouvoirs politiques non plus ; et c'est la source de combien de conflits sanglants.
Troisième piège : vouloir paraître : "Ils agissent toujours pour être remarqués des hommes : ils portent sur eux des phylactères très larges, des franges très longues". Qui n'est jamais tombé dans ce travers d'aimer paraître, d'attirer sur soi la considération et l'intérêt ?
Quatrième piège : se croire important, avoir le goût des honneurs : "Ils aiment les places d'honneur dans les repas, les premiers rangs dans les synagogues, les salutations sur les places publiques, ils aiment recevoir des gens le titre de Rabbi". Il faut être très humble pour porter sans ridicule les honneurs dus à son rang.
Après cette énumération, le texte se retourne : "Pour vous" dit Jésus ; c'est la clé de ce texte. Il nous invite à vivre comme lui. "Ne donnez à personne sur terre le nom de Père, car vous n'avez qu'un Père, celui qui est aux cieux". On peut, bien sûr, continuer à employer les titres de père et de maître, mais en leur donnant leur vrai sens et pas davantage ! "Abbé" venait de "Abba", "Père", "Pope", "Pape" sonnent comme "Papa" : au fond, c'est la même chose ! Ceux à qui nous donnons ces noms-là sont parmi nous le rappel vivant que nous n'avons qu'un seul et unique "Père" qui est dans les cieux. Jésus termine en disant : "Qui s'élèvera sera abaissé, qui s'abaissera sera élevé". Il y a là un des grands chemin de la vie : la force de l'humilité. Etre assez lucide pour se reconnaître à ras de terre, tout étonné de vivre du partage de nos frères et de la grâce de Dieu.
Jean RO
vendredi 14 octobre 2011
Dieu et l'argent
Une pièce de monnaie, comme un billet de banque est un programme, l'annonce d'une politique. Regardez une pièce de monnaie : elle porte sa valeur; mais une pièce est plus qu'un jeton, elle véhicule un message, et depuis quelques années, elle nous tourne vers le projet européen. L'argent est un symbole de lien social : il permet d'acheter un objet, de payer un travail. Il sert aussi bien à couvrir le nécessaire, qu'à s'assurer une domination ou un prestige. Il est rarement égalitaire et à propension à devenir une fin en soi ! Contrairement au dicton populaire, l'argent a une odeur ! Il sent la sueur et parfois le sang; il respire l'envie ou la miséricorde, il garde le goût de la guerre économique, de la dette internationale ou de la bonté du don. Jésus en regardant une pièce de monnaie invite à réfléchir sur la signification de l'argent et la responsabilité des hommes entre eux.
En demandant une pièce d'argent, Jésus désigne l'effigie qui dit le propriétaire, et cette pièce doit être rendue à son propriétaire. "Rendez à César ce qui est à César." Jésus ici ne fait pas une séparation absolue entre deux domaines qui ne devaient avoir aucun lien : le domaine spirituel (celui de Dieu) et le domaine matériel (celui de César), comme si, dans ce dernier, on pouvait agir sans s'interroger sur la portée de ses actes, sur la moralité de son comportement, comme si en ce domaine on pouvait faire ce que l'on voulait. Le domaine politique est bien reconnu par Jésus. Il y a bien à rendre aussi en ce domaine. Il est un des lieux majeurs de l'exercice concret de la charité. La loi morale doit s'y manifester de plein droit. Mais le politique doit rester à sa place : « rendez à Dieu ce qui est à Dieu, ne rendez pas à César ce qui appartient à Dieu ». Lui seul, Dieu, est le maître de l'histoire. Dieu seul est Dieu, il n'y a de sacré que Dieu et celui qui est son image : chaque être humain. Toute sacralisation du pouvoir et de l’argent conduit à la tyrannie et à l'idolâtrie. Nul n'a le droit de récupérer Dieu pour justifier sa politique. Tous ceux qui s'y essayent, tombent dans la totalitarisme, le plus abject, celui qui fait peu de cas de la personne humaine; mais mépriser la politique c'est prendre le chemin du mépris concret de nos frères.
Ne servez pas Dieu non plus comme on sert César ; il n’est pas un empereur plus fort que tous les autres il est le Dieu de l’Alliance qui m’invite à un partenariat à une filiation à un amour de réciprocité qui instaure entre lui et moi une vraie communion contagieuse de liens social et d’une terre habitable par tous.
Jean ROUET
samedi 17 septembre 2011
L’école peut-elle encore éduquer ?
La conférence de François DUBET, mardi dernier à l’athénée municipal, fut un bon moment de réflexion et d’ouverture. Le constat fait froid au dos. Personne n’est coupable mais tous sont responsables. Les gens de ma génération ont, dans leur souvenir la nostalgie du tableau noir, de l’odeur de la craie. Vieilles images défraichies d’un temps révolu où la morale chrétienne et la morale laïque conjuguaient leurs efforts pour faire des catholiques et des républicains efficaces et respectueux de leur hiérarchie et des lois de la république.
Le nombre d’enfants et de jeunes à scolariser fait exploser les murs et les dépenses. Au fil des générations se forme la conviction que le destin d’un jeune se joue presque uniquement dans sa réussite scolaire. « Passe ton bac après on verra ! » Le choix de l’établissement est calculé aussi bien dans le public que dans le privé par rapport à son taux de réussite au bac. Tous sont en concurrence pour gagner les meilleurs élèves. Le but de l’école c’est la réussite aux examens les plus prestigieux ; c’est donc cette finalité qui va construire tout le système dès la maternelle. En cette rentrée, dans les plus petites classes, un système d’évaluation de chaque élève est mis en place ; le dossier scolaire prend la forme d’un casier judiciaire qui va vous suivre toute votre existence. Pour devenir efficace, compétitif le système français d’éducation a perdu sa vocation éducative et les inégalités se creusent. Les conséquences sont sous nos yeux : crise de la motivation chez les élèves comme chez les enseignants, absentéisme, dégradations sauvages. L’univers scolaire finalisé par la rentabilité économique devient une machine infernale qui dit « qui est bon » et « qui n’est pas bon » pour nourrir le système.
Les défis sont nombreux. A quelles conditions l’école peut-elle devenir un lieu majeur d’éducation comprise non comme un apprentissage de purs savoirs mais une dynamique où chacun trouve les moyens de se développer et de choisir sa vie ? « Elever un enfant, c'est d'abord l'élever à ses propres yeux» disait la philosophe Simone Weil. L’école peut être un des lieux majeurs de l’apprentissage de l’estime de soi si nécessaire à la vie des hommes. Plusieurs pistes sont évoquées pour mettre l’école en chantier : la création d’établissements où le travail en commun est de règle pour créer une véritable communauté éducative, une présence des professeurs beaucoup plus effective sur l’ensemble d’une journée, une formation des maîtres qui donne de vraies compétences professionnelles surtout pour les classes élémentaires. Mais la question essentielle reste celle-ci : à quel type de société, à quel type de morale collective, à quel sens commun voulons-nous éduquer pour demain ? Voilà de bonnes pistes pour les débats à venir.
Jean ROUET
samedi 11 juin 2011
« Joie et espérance
Homélie pour le dixième anniversaire du décès du cardinal Pierre Eyt
« Joie et espérance », « Gaudium et Spes » ce sont les deux mots que le cardinal Pierre Eyt avait choisi pour indiquer la direction qu’il souhaitait donner à son épiscopat au milieu de nous.
Faire mémoire de lui en ce jour du 10° anniversaire de son décès c’est faire confiance à la miséricorde de Notre Dieu mais c’est aussi recueillir les fruits de son ministère et de sa vie.
Il me faut faire un choix parmi les multiples aspects de sa personnalité et de ses œuvres.
Sa première grande décision fut de proposer la route synodale à notre Eglise diocésaine, un vrai chemin qui dura 7 ans. Nos communautés furent convoquées à la conversion pour vivre les temps nouveaux. L’horizon était l’annonce à tous les girondins de la Bonne Nouvelle concernant le Christ. Au moment où Mgr Ricard nous met dans cette perspective avec le projet missionnaire, nous pouvons entendre avec profit ces lignes écrites en mars 1993 : « La vérité de l’Eglise, son but, sa raison d’être ne sont pas dans l’Eglise, mais dans le Christ. L’Eglise y compris la nôtre, ne doit jamais se prendre pour le Christ… Le synode vaudra par la place qu’il donnera au Christ dans nos vies, dans nos familles, dans nos regroupements, dans nos communautés, dans nos services. Si le synode tend, au sens originel de ce terme, à la « réforme de l’Eglise », à sa « réformation », entendons par là l’emprise toujours plus pénétrante de la vie du Christ dans nos vies et dans la vie de l’Eglise. « Tendre vers la forme vraie de l’Eglise » qui est son obéissance parfaite à Jésus-Christ : tel est le but du synode. Ce pour quoi il est vital que nous prenions « la route ensemble ».
Le second trait que j’aime souligner c’est son goût de la liberté : liberté de parole, liberté de ton, liberté de penser, liberté à l’égard des convenances avec son béret devant saint Louis des français le jour de son cardinalat. Ses écrits sur la formation de la conscience, sur l’exigence de vérité et le recours à l’intégrisme, ses notes sur l’ouvrage de Luc Ferry ou sur la série télévisée Corpus Christi, sa réaction à propos de l’instruction sur la collaboration des laïcs au ministère des prêtres sans oublier « le faxeur fou » écrit pour les séminaristes de Poitiers en témoignent. J’aime relire la fameuse controverse qu’il mena fraternellement avec le cardinal Ratzinger dans les colonnes de la Croix en 1999 et qui illustre si bien la proximité et la différence d’accent mais aussi la beauté de l’intelligence de ces deux hommes.
Il faut parler aussi de son amour des terroirs. Plus d’un se souviennent : lors d’un diner avec des personnalités du monde du vin, où les invités étaient conviés à faire des commentaires sur les vins qu’ils dégustaient, le cardinal Eyt entrepris d’instruire l’assistance de la composition des terrains sur lesquels ces vignes avaient poussés. Il refusa de supprimer les paroisses historiques pour créer de nouvelles paroisses car il ne voyait pas comment supprimer saint Emilion, saint Julien Beychevelle, Pauillac, Pessac-Léognan et tant d’autres titres glorieux. Il est retourné, pour sa dernière demeure, (non sans susciter quelques regrets chez nous) dans sa vallée de Laruns où il aimait retrouver ses racines familiales.
Mais l’épreuve est toujours au cœur de la suite du Christ et elle ne l’a pas épargné. Je revois encore son courage lors d’une réunion de parents éprouvés dans le respect de leur enfant. Le P. Grenié, que j’évoque avec amitié, a été le témoin des secousses diverses qu’il a vécues à cause des difficultés inhérentes à l’animation d’un diocèse. Mais je pense tout particulièrement à deux moments.
D’abord, à cause de ses prises de paroles, il fut suspecté un temps de faire un jeu anti romain. Comme si ce serviteur de l’Eglise se retournait contre elle ! Voici ce qu’il disait lors de sa prise de possession de son titre cardinalise à la Trinité des Monts le 26 février 1995 : « Quel doit être le rôle des évêques et des théologiens catholiques ? N’est-il pas de redire que la parole de Jésus à Pierre : « Tu es Pierre » appartient à la substance même de l’Évangile ? Sans cette parole, y a–t-il d’ailleurs un Evangile ? Sans cette parole l’Evangile aurait-il grandi, porté du fruit, serait-il parvenu jusqu’à nous ? Qu’est que l’Evangile sans l’Eglise qui le porte, sans le ministère de Pierre qui, dès l’origine, l’authentifie ? »
Puis ce fut les deux dernières années où il dut faire face à la maladie avec courage. Le vendredi avant sa mort il recevait encore dans sa chambre le conseil épiscopal et je l’entends me dire lors de ma dernière visite : « Jean, j’aurais encore tant de chose à vous dire mais je n’ai plus la force. »
Tous nous avons pu admirer cette force lors du chemin de croix au jardin public. Sa prière alors se faisait confidence et il se comptait parmi tous les souffrants : « Seigneur, toi qui connais ces moments tragiques où le malheur et le danger s’accumulent, donne-nous le courage d’affronter ces lourdes heures : dans la maladie, dans les crises familiales, dans les épreuves professionnelles, dans les détresses publiques. Apprends-nous à aider nos frères à vivre ces moments avec le réconfort de nous savoir de leur côté. »
Qu’est-ce que je garde de cet évêque courageux, de cet esprit brillant, de cet homme attachant par ses foucades et ses colères ? Le ton avec lequel il prononcé dans ses prises de paroles le nom de Jésus ; il ne livrait guère ses sentiments mais on entendait là le cœur de sa foi et de sa vie.
Puissions-nous aimer le Seigneur aussi humainement !
Jean ROUET
mercredi 25 mai 2011
Justice et politique
Les grands de ce monde ne sont pas à la fête en ce moment ! On va même finir par parler des véritables victimes : les femmes violées, les enfants abusés, les peuples opprimés, les innocents massacrés. On va peut-être se pencher aussi sur le sort des victimes, leur condition de vie, le traumatisme qu’elles ont subi, leur avenir à tout jamais handicapé. On va peut-être même faire quelque chose pour elles au lieu de prévoir des prisons de luxe.
C’est vrai qu’il ne faut pas trop les traumatiser tous ces chefs d’états corrompus, ces hauts dignitaires habitués à des salaires scandaleux, ces footballeurs internationaux aux émoluments mensuels représentant je ne sais combien de dizaine d’années de SMIC.
Cette semaine, même le pape s’y met ; rappelant la destination universelle des biens promut par Jean XXIII, il disait le 12 mai dernier sa préoccupation face aux disparités qui caractérisent notre époque, au détriment des plus pauvres: « Les phénomènes liés à une finance qui, après la phase la plus aiguë de la crise, a recommencé à pratiquer avec frénésie des contrats de crédits qui souvent permettent une spéculation sans limites ». Benoît XVI insiste sur le fait que la question sociale est aujourd'hui « mondiale » et que ce qui est en jeu c'est la « distribution équitable des ressources matérielles et immatérielles, de mondialisation de la démocratie substantielle, sociale et participative».
Une telle justice n'est cependant pas possible, fait observer Benoît XVI, si l'on s'appuie sur le « simple consensus social », car pour qu'il soit « durable » il faut aussi qu'il soit « enraciné dans le bien humain universel ».
Le pape montre le lien entre justice et politique : pour réaliser la justice sociale dans la société civile, dans l'économie de marché (cf. Caritas in veritate, n. 35), il faut en outre « une autorité politique honnête et transparente » et proportionnée, y compris « au niveau mondial » (ibid. n. 67).
Que Dieu et les hommes l’entendent !
Jean ROUET
dimanche 1 mai 2011
Bienheureux Jean Paul II priez pour nous !
2° dimanche de Pâques 2011
Béatification de Jean Paul II
Le texte de St Jean insiste à deux reprises pour nous signaler que les portes du lieu où se tenaient les disciples étaient verrouillées. Ces portes fermées représentent bien la situation des disciples, situation aux antipodes du Christ. Il est sorti vivant du tombeau, la pierre a été roulée, il n'est plus enfermé par la mort, ce sont les disciples qui se retrouvent enfermés dans la peur. Ils sont encore sous le coup de l'échec apparent de la croix, leur peur est un tombeau qui les emmure en eux mêmes. C'est là que le Christ vient les ressaisir. Il n'enlève pas seulement la pierre de son tombeau, Il veut rejoindre chacun d'entre nous pour enlever, rouler la pierre qui ferme notre coeur. On retrouve cette peur souvent mentionnée dans les récits après la résurrection. Nos coeurs peuvent être ainsi habités par de multiples craintes, crainte des autres, crainte de ne pas y arriver, crainte de ne pas être aimé, crainte de l'échec, crainte de se perdre, crainte finalement de la mort. Le Christ veut visiter notre coeur fermé pour que sa paix remplace la peur et les disciples sont invités à ouvrir les portes et à sortir à se risquer : "La paix soit avec vous !". La paix est le don le plus précieux du Christ, elle est la caractéristique de sa présence en nous.
Que nous apporteront les années qui s'ouvrent à nous? Quel sera l'avenir de l'homme sur la terre? Nous ne pouvons pas le savoir. Mais la lumière de la miséricorde divine illuminera le chemin des hommes du troisième millénaire.
Comme les Apôtres autrefois, il est toutefois nécessaire que l'humanité d'aujourd'hui accueille elle aussi dans le cénacle de l'histoire le Christ ressuscité, qui montre les blessures de sa crucifixion et répète: Paix à vous! Il faut que l'humanité se laisse atteindre et imprégner par l'Esprit que le Christ ressuscité lui donne. C'est l'Esprit qui guérit les blessures du cœur, abat les barrières qui nous éloignent de Dieu et qui nous divisent entre nous, restitue la joie de l'amour du Père et celle de l'unité fraternelle. Paroles de Jean Paul II le 30 avril 2000
Jésus ressuscité n'est pas un passe muraille. Par sa résurrection d'entre les morts il est totalement en Dieu et donc présent à tout être, remplissant l'univers ! Il est partout de "l'Orient à l'Occident". Il rend un instant sa présence perceptible aux disciples pour qu'ils comprennent. Et cette présence va se manifester désormais par la présence de ces disciples qui vont remplir l'univers : "Comme le Père m'a envoyé, moi aussi je vous envoie." Le Christ dans la lumière de sa résurrection nous constitue comme témoin de sa présence à tous les temps et à tous les hommes. Nous sommes chargés par lui de manifester sa présence et l'efficacité de sa miséricorde à travers la libération qu'il met en nos coeurs. En accueillant le Christ, il nous fait passer de la peur, de la crainte à la foi, de la nuit du tombeau à la clarté du jour, de l'enfermement au risque pour les autres. Et, si nous nous ouvrons à cette présence libératrice, nous devenons témoins par notre propre vie de sa Vie donnée.
Dans les diverses lectures, la liturgie semble désigner le chemin de la miséricorde qui, tandis qu'elle reconstruit le rapport de chacun avec Dieu, suscite également parmi les hommes de nouveaux rapports de solidarité fraternelle. Le Christ nous a enseigné que "l'homme non seulement reçoit et expérimente la miséricorde de Dieu, mais aussi qu'il est appelé à "faire miséricorde" aux autres: "Bienheureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde" (Mt 5, 7)". Il nous a ensuite indiqué les multiples voies de la miséricorde, qui ne pardonne pas seulement les péchés, mais répond également à toutes les nécessités de l'homme. Jésus s'incline sur toute forme de pauvreté humaine, matérielle et spirituelle.
Thomas est là pour nous mettre en garde contre l'obstacle principal à cette vitalité du Christ ressuscité dans nos vies. Thomas veut voir pour croire, il exige des signes. Il recopie ainsi le péché de toujours qui est de se méfier de Dieu. Il ne le croit pas sur parole. Seule la foi en la Parole de Dieu qui nous crée est le terrain sur lequel peut s'enraciner l'amour et l’amour de miséricorde. C'est parce qu'on n'a pas cru à sa parole qu'on a crucifié Jésus et Thomas prend sa part à la crucifixion du Christ. Et c'est bien le crucifié qui se présente à lui, lui montrant ses plaies, lui faisant toucher du doigt ce que l’incrédulité, le manque de confiance a provoqué. Mais le crucifié est vivant et il vient au secours du manque de foi de Thomas. Nous sommes si souvent dans le doute et l'incrédulité devant la Parole de Dieu, la parole du frère. Cette incrédulité est une véritable mise à mort de l'autre. L'amour ne peut naître que de la confiance donnée. L’amour ne peut jaillir que dans l'accueil de la Parole. C'est tellement vrai dans le mariage qui est ainsi sacrement de l'amour de Dieu et de sa miséricorde. Nous sommes nous aussi rejoints par le Christ ressuscité que nous avons crucifié, Jésus vient au secours de notre foi défaillante. A la suite de Thomas fléchissons les genoux et adorons : "Mon Seigneur et mon Dieu."
jeudi 7 avril 2011
De haut en bas !
La Pâque approche, le soleil inonde de lumière ce début de printemps. Le mot « vacances » fait des ravages pour l’ardeur au travail. Pourtant la situation s’enlise à Abidjan, en Lybie. Les armes sont trop simplistes elles ne font pas de différence, elles ne connaissent que leur propre complexité et ignorent celle des situations. Les boucliers deviennent humains et il y a dans cette expression une inhumanité intolérable. Dans les débats franco français on s’étrille allégrement autour de petites phrases, de calculs mesquins, on se cache devant des polémiques pour éviter d’affronter des problèmes qui ne se règlent pas à coup d’annonces mais qui exigent un travail de longue haleine. Les banques ont, soi-disant, surmonté la fameuse crise financière mais les plus démunis la vive de plein fouet et leur nombre ne cesse de croître. Bref la vie continue me direz-vous ! Mais quel chemin vers pâques 2011 ? En contemplant le Christ dans sa propre marche vers Jérusalem, je suis, une fois de plus, frappé du motif de condamnation qui finalement va le clouer sur la croix : il a blasphémé ! Il croit en un Dieu qui est aux antipodes des représentations de ces adversaires : un Dieu dont la toute-puissance est au service de ses créatures, un Dieu dont la gloire est le bonheur de ses créatures, un Dieu du Très-bas et non du Très-Haut, un Dieu dans les mains de ses créatures.
C’est intolérable d’être à ce point dépendant des autres, il faut s’affranchir et garder Dieu à distance respectueuse dans les hauteurs des cieux ! Un peu de distance s’il vous plait ; chacun dans sa sphère ne mélangeons pas les serviettes avec les torchons !
De haut en bas, le Dieu que manifeste Jésus le Christ est totalement au rang de l’esclave, dans la proximité intérieure la plus grande, parmi nous comme celui qui sert.
Jean ROUET
samedi 26 mars 2011
Un dialogue en vérité
Dans cette rencontre je suis depuis longtemps en arrêt devant l’étrange a succession des sujets de la conversation entre Jésus et la Samaritaine. On passe de l’eau à boire aux maris, des maris à l’adoration en esprit et en vérité, de l’adoration à la l’annonce joyeuse : « il m’a dit tout ce que j’ai fait ! »
Le point de départ est simple comme un fait quotidien : aller chercher de l’eau pour boire, demander de l’eau après une marche fatigante sous la chaleur du soleil de Palestine. L’accroche est banale sauf que les deux protagonistes sont aux antipodes : l’histoire des deux peuples, des deux familles est marquée par la séparation : « on n’a plus rien à voir avec ces gens-là, nous ne sommes plus de la même famille, du même monde.» Au quotidien cela donne des comportements bien connus de mépris, chacun est dans son monde, on ne communique surtout pas et les aprioris s’empilent au fur et à mesure du temps. L’accroche est banale mais ça marche : le dialogue s’engage dans l’étonnement de la demande. On ne se comprend qu’à moitié : la samaritaine est soucieuse de sa cruche et on la comprend ; Jésus est désireux de la faire accéder à un autre souci d’elle-même. Il veut lui faire vivre le passage de l’eau qui désaltère de l’extérieur à l’eau qui vivifie de l’intérieur. La tâche est rude tellement elle est fixée sur ses besoins journaliers. Alors le Christ élargit le souci quotidien aux questions de toute une vie. Les cinq maris et le sixième homme déboulent dans la conversation avec ce qu’ils peuvent évoquer d’une vie à épisodes multiples avec répercussions personnelles mais familiales et même de voisinage. Ils arrivent sans jugement comme un énoncé des faits, une vérité faite sans reproches, sans condamnation, mais une réalité qui dit le poids de la vie de chaque jour et dans la durée. Le Christ a trouvé le chemin pour aller au cœur. La femme expérimente que l’homme avec qui elle parle connaît les êtres à la manière de Dieu, c'est-à-dire en profondeur aussi c’est tout naturellement qu’elle questionne sur le lieu de l’adoration, le lieu de la rencontre. Elle est toujours à l’extérieur, mais elle peut entendre qu’il s’agit d’un lieu intérieur à portée de main chaque jour, à chaque instant : soi-même en « esprit et en vérité » ! Alors la révélation peut se faire : elle a été reconnu dans tout ce qu’elle était, elle a reconnu d’où il venait aussi il peut dire la profondeur de ce qu’il est : l’envoyé de Dieu.
Du souci quotidien à l’adoration tel est le chemin de la samaritaine et du Christ. Consentir à être reconnu avec tout ce qui tisse notre existence, permet le passage pour accueillir la vérité de l’autre. Partager ce qui nous advient dans la rencontre du Christ est le premier pas de la mission pour témoigner du « Sauveur du monde ».
Jean ROUET
dimanche 20 mars 2011
"Va vers le pays que je te montrerai"
Le récit de la « vocation d’Abraham » est, dans sa sobriété, un des passages clés de toute la Bible. Depuis des générations, il est lu et relu comme tel.
Dieu invite Abraham à partir, à quitter, à laisser. Sa famille, sa maison, son pays ; bref tout ce qu’il connait, tout ce qui fait sa sécurité. Personnellement, si j’étais Abraham, j’aurais envie de poser quelques questions préalables à Dieu : « Partir, je veux bien, mais pour aller où ? Ne pourrais-tu pas nous en dire un peu plus, nous donner quelques garanties. J’ai un peu peur de l’inconnu ». Seule réponse de Dieu : « Je te montrerai ». Ah bon… C’est court.
Oui, c’est court. Mais c’est précisément cette brièveté qui est lourde de sens. Ce récit nous dit, ce que « croire » veut dire dans la Bible. Ce que Dieu attend de nous. Nous, nous préférerions toujours connaître à l’avance l’itinéraire et la destination. Maîtriser les opérations. Mais Dieu sait bien, lui, que c’est précisément ce saut dans l’inconnu, cet élan de confiance qui fait grandir l’homme ! Il sait que c’est par cet élan de confiance l’homme devient réellement lui-même. Qu’il sort de sa coquille et de ses sécurités pour entrer, enfin, dans le grand horizon de la vie ! Pour vivre vraiment, il faut croire !
Ce dimanche matin, nous accueillons les couples de notre paroisse qui préparent leur mariage. Je suis convaincu que ce récit de l’appel d’Abraham a quelque chose à leur apprendre sur l’aventure qu’ils se préparent à vivre. Le fait de s’engager pour toute la vie avec celui ou celle que l’on aime, ressemble à s’y méprendre à l’acte de foi en Dieu. Ici comme là il s’agit de partir, de laisser, de quitter. Pour aller où ? Dieu seul le sait. Et encore… Ici comme là il s’agit de consentir à s’en remettre à un autre, sans savoir à l’avance, sans maîtriser le chemin. C’est alors que l’on commence à vivre vraiment et pleinement. A aimer vraiment. L’homme est fait pour cette confiance !Tant que je veux tout maîtriser, tant que je veux détenir les clés de la vérité et de ma vie, je ne vis pas vraiment et je n’aime pas tout à fait...
Quel beau programme pour un carême. Nous commençons souvent le carême avec un brin de fatalisme. « De toute façon, je sais comment ça va finir… je vais me réveiller à Pâques et je n’aurai rien fait ». Evidemment, si nous partons dans cet état d’esprit, cette triste prédiction risque fort de se réaliser. Je pense même que si nos carêmes se déroulent habituellement comme cela, c’est parce qu’au fond, nous le voulons bien. Parce que nous avons peur de l’inconnu et que nous préférons un carême raté ou médiocre plutôt qu’une aventure qui nous mènerait on ne sait où… Nous avons peur de croire que Dieu peut réellement faire du neuf dans notre vie.
Mais si pour une fois nous partions vraiment. Comme Abraham. Sans savoir. Sans connaître ce pays que Dieu veut nous montrer. Si pour une fois je consentais à quitter ma vieille vie, à laisser mes habitudes serviles et mes doutes sans lendemain. Pour aller où ? « Vers le pays que je te montrerai ».
P. Pierre Alain LEJEUNE
dimanche 6 mars 2011
Aimer en acte et en vérité
Depuis quelques semaines, nous entendons le discours de Jésus sur la montagne avec ses exigences qui peuvent paraitre hors de notre portée : « aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent ; si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tend-lui encore l’autre ; pardonnez de tout votre cœur… ».
Ce discours de Jésus s’achève sur l’Evangile de ce dimanche : il ne suffit pas de dire « Seigneur, Seigneur », mais il faut faire la volonté du Père. Pour le dire autrement, les beaux discours ne servent à rien s’ils ne sont suivis d’actes, les belles convictions ne sont que du vent si elles ne sont pas mises en pratique. C’est ce que Saint Jean affirme d’une autre manière : « Nous devons aimer, non pas avec des paroles et des discours mais en acte et en vérité » ( 1 Jn 3, 18)
En effet, le danger est souvent de considérer l’Evangile comme un idéal tellement élevé qu’il serait de toute façon inatteignable ; et nous nous réfugions derrière notre réalisme pour admettre que ces paroles sont symboliques… Eh bien non ! Elles ne sont pas symboliques. Car Jésus lui, a vécu jusqu’au bout ce qu’il a proclamé ; et c’est précisément pour cela qu’il est crédible. C’est la croix qui rend crédible la parole de Jésus. Il est crédible lorsqu’il promet à ses disciples qu’il ne les abandonnera pas. Il est crédible lorsqu’il demande de ne pas riposter à l’insulte. Il est crédible lorsqu’il nous invite à pardonner au-delà de toute mesure. Il est crédible parce que, sur la croix, Il vit jusqu’au bout ce qu’il a dit : Il donne sa vie. Or ce que le Christ est pour nous, nous devons apprendre à l’être pour les autres.
Depuis les commencements de l’Eglise, si la foi chrétienne s’est propagée à toutes les nations, ce n’est pas grâce aux beaux discours ni aux belles convictions. Mais c’est l’amour vécu qui parle plus fort que tout. C’est ce que les chrétiens ont réalisé de grand et de beau, simplement par amour des plus petits, qui ont converti tant d’hommes et de femmes.
Ce qui sauve l’homme, ce n’est pas d’avoir de belles convictions mais de les vivre. On peut dégouliner de bons sentiments et ne rien vivre de l’Evangile. Voilà un beau programme à quelques jours du carême. Ce temps pourrait peut-être nous amener à nous demander si notre foi se traduit réellement en actes ; si nous faisons réellement la volonté de notre Père du ciel. C’est cela, et cela seulement, qui construit nos vies sur la solidité du roc.
P. Pierre-Alain LEJEUNE
jeudi 10 février 2011
L’enfance éprouvée
En début de semaine voici que sur mon radioréveil j’entends l’annonce du « bébé médicament » !
Quelle belle avancée que ces travaux sur le sang des cordons mais quelle incroyable idée d’instrumentaliser l’enfant ! Vous me direz la belle affaire ! Les parents font des enfants pour bien des raisons différentes. Mais faut-il renoncer à grandir en humanité, faut-il arrêter de vouloir chaque être humain pour lui-même et non pour ce qu’il peut rapporter ou ce à quoi il peut servir ? Qu’est-ce qu’il va falloir l’aimer pour lui-même ce bébé médicament !
Ce qui fait la joie de mon cœur quand je regarde Guillaume c’est qu’il est quelqu’un à part entière aux yeux de Dieu et j’ai l’impression de grandir chaque fois que je lui parle en dépassant en mon cœur son handicap si visible.
Ce qui fait la joie de ma vie c’est de me savoir aimé de Dieu pour moi-même et je travaille pour que chacun puisse l’éprouver pour lui-même et le signifier aux autres.
dimanche 6 février 2011
Partage ton pain avec celui qui a faim
C’est le prophète Isaïe qui nous lance cet appel : « Partage ton pain avec celui qui a faim ». Et dans l’Evangile, Jésus dit à ses disciples - et donc à nous aussi - que c’est en voyant ce que nous faisons de bien que les hommes rendront gloire à Dieu. C’est une grande responsabilité qu’il nous confie !
Nous avons l’habitude de bénir le repas avant de manger. Ce petit rituel est une belle manière de reconnaître que c’est de Dieu qui vient toute grâce. Certains de nos bénédicités sont très beaux, d’autres sont touchants ou encore ludiques et enfantins. Tout cela est très bon. Pourtant, je dois reconnaître que quelques uns d’entre eux présentent un gros défaut au regard de l’Evangile… Je pense à ces bénédicités dans lesquels nous demandons à Dieu de donner du pain à ceux qui n’en n’ont pas. Mais à bien y réfléchir, ce n’est pas à Dieu de donner du pain à ceux qui ont faim. C’est à nous de le faire ! Tout se passe un peu comme si nous cherchions à refiler à Dieu une mission qui nous incombe. Nous mélangeons souvent les rôles et nous en venons toujours rapidement à nous débarrasser des tâches qui nous paraissent trop compliquées.
Nous ne devrions pas prier Dieu pour qu’il donne du pain à ceux qui en manquent. Nous devrions plutôt le prier pour qu’il nous aide à assumer la mission qu’il nous confie. Pour qu’il nous aide à partager réellement. L’Eglise est réellement dans son rôle lorsqu’elle assume cette tâche.
Lors de sa visite en Grande-Bretagne en septembre dernier, le pape Benoît XVI s’exprimait ainsi : « Le monde a été témoin des immenses ressources que les gouvernements peuvent mettre à disposition lorsqu’il s’agit de venir au secours d’institutions financières retenues comme ’trop importantes pour être vouées à l’échec’. Il ne peut être mis en doute que le développement humain intégral des peuples du monde n’est pas moins important : voilà bien une entreprise qui mérite l’attention du monde, et qui est véritablement ’trop importante pour être vouée à l’échec’. »
Voilà une parole qui devrait nous redonner le sens des priorités ! Quelle est la tâche véritablement trop importante pour être vouée à l’échec ? J’ai rencontré cette semaine l’équipe diocésaine du Secours Catholique. Nous avons cherché des propositions concrètes à faire aux jeunes catholiques de Bordeaux afin de les inviter à s’engager sur des actions locales, notamment dans l’accueil et la distribution de repas à des personnes en situation de précarité. Vous entendrez parler très prochainement de ce nouveau partenariat entre les Aumôneries Etudiantes de Bordeaux et le Secours Catholique : si chacun de nous réalise un petit geste concret alors nous serons véritablement ce que Dieu attend de nous : le sel de la terre et la lumière du monde !
P. Pierre Alain LEJEUNE
jeudi 3 février 2011
Peuple, pain et liberté
Peuple, pain et liberté
Ces trois mots ont envahi les ondes depuis plusieurs semaines. Tunisie, Egypte, Moyen-Orient dominent les informations. Des dirigeants en place depuis plus de 20, 30 ans s’enfuient ou sont totalement contestés. Des comportements dictatoriaux apparaissent au grand jour ; des pratiques mafieuses gangrènent les états. La plus grande partie de la population ne profite en rien des progrès économiques. Les peuples demandent du pain et de la liberté. L’usage du mot peuple envahi tous les commentaires et n’est pas s’en éveiller en moi des sentiments mêlés. De qui parlons-nous ? Qu’est-ce que le peuple dont on parle ici ? D’une foule à bout qui ne supporte plus avec juste raison l’oppression ? De la majorité des gens ? De la masse que l’on dit toujours silencieuse ? Le peuple c’est “démos” en grec et cela à donner démocratie. Dans tous ces pays les dirigeants sont élus par des méthodes coercitives.
Je me réjouis profondément de cette aspiration à une juste distribution des biens de notre terre, à cette soif d’expression et de liberté, mais finalement je me pose la question de la représentativité du peuple dans le système démocratique. Tous nos pays pas seulement ceux d’Afrique du Nord y sont acculés. Quel est le meilleur système de représentativité ? La campagne prochaine des élections aux conseils généraux fait apparaître plus clairement encore la course au pouvoir ; les programmes sont trop peu mis en avant ; mais y croient-t-on encore aux programmes ? Les promesses n’engagent que ceux qui y croient ! Les personnes s’accrochent à leur siège et règnent impunément depuis des décennies ayant établi des réseaux clientélistes efficaces. Chez nous aussi il y a une soif de justice et de parole vraie, chez nous aussi il y a urgence à être plus exigeant avec nos représentants ils ont tellement tendance à être plus dirigeants que représentants. Il ne s’agit pas de tomber dans la tentation d’un Saint Just et vouloir un mode de purs ; mais il s’agit de réinvestir la question du bien commun, la question du politique avec responsabilité et mettre à l’honneur ceux et celles qui en ce domaine vivent leur engagement en politique comme un véritable service.
jeudi 27 janvier 2011
La Bd et la culture religieuse font bon ménage !
Le festival d’Angoulême bat son plein toute cette fin de semaine. Parlons donc de la bande dessinée ! Des amis m’en offrent quelquefois ou bien me les prêtent. Sur ma cheminée trône « Sentiments distingués » de Sempé. En ce moment je suis plongé dans Blake et Mortimer : « La malédiction de trente deniers.» Vous avez deviné il s’agit d’une histoire qui tourne autour des trente deniers de Judas. Je n’arrive pas à trouver le temps pour lire le second tome mais dans le premier si vous ne connaissez pas les études historiques et bibliques sur ce sujet, vous trouverez là une source formidable d’infos très sûres! C’est très sérieux et documenté. De quoi suivre une formation en sciences religieuses de manière agréable et instructive. Dans le même genre d’idées pour développer votre culture religieuse je vous recommande un film et un roman. Le film est déjà ancien c’en est un des fameux Monty Pithon, cette bande d’acteurs anglais tout à fait déjantés. Il s’agit de « la vie de Brian » un film britannique de Terry Jones, sorti en 1979. Vous trouvez sur Youtube ou Dailymotion plusieurs extraits. Mais si vous voulez comprendre ce qu’est un genre littéraire et avoir une petite idée de l’effervescence messianique au début du premier siècle, c’est lumineux et distrayant, bien sûr il faut être adepte sur second degré et aimer l’humour britannique. Après tout, les paraboles de Jésus nous invitent bien au second degré…
Avec le roman « L'Ombre du Galiléen » l'auteur, professeur de Nouveau Testament à l'Université de Heidelberg, tente d'y présenter, sous forme narrative, les résultats de ses recherches sur le contexte social de Jésus. Le défi que s'est lancé Gerd Theissen se résume comme ceci :
Quel est donc le but de ce livre? écrit l’auteur lui-même : « Finalement une seule chose : sous forme de récit, je voudrais proposer une image de Jésus correspondant à l'état présent de la recherche sur lui et compréhensible aux lecteurs de notre temps. Mon écrit doit être agencé de telle sorte que l'on puisse saisir, non seulement les résultats de la recherche moderne, mais aussi la façon dont les historiens avancent. » (L'Ombre du Galiléen, p. 9)
Ne boudez pas votre plaisir lisez cela plus que le dernier livre de l’écrivain fleuve qui se prétend spécialiste du fait religieux je veux parler de Frédéric Lenoir. Son livre sur Jésus n’est pas sérieux il reprend des thèses éculées depuis des siècles ; ça se veut savant et c’est ennuyeux et erroné, Bernard Sesboué lui a fait une magnifique réponse que je vous recommande.
Bonne lecture et détente à la fois !