Etienne et Damien ont commencé avant moi ! Redoutable !
Les enfants ont pris la plume en premier. La barre est haute. Ecrire après l’enfant : un vrai retour. L’écriture à nouveau comme une naissance. Le désert se donne comme l’encrier de l’âme ; il en sortira un désir renouvelé !
C’est la promesse du jour qui s’est couchée sur Sebha.
La lune par le hublot est pleine, elle sera notre lampadaire de chaque soir.
En parlant dans la tête et dans le cœur la plume s’est mise en route.
Bébert et Luc, Jef et Béa, Marie, Olivier, Etienne et Damien ont enjambé les mers pour prendre un bain de sable.
Dans quel sens avez-vous passé la frontière ? Comme un européen qui va en Afrique ou comme un Africain arrivant en Europe. Si vous voulez apprécier la rapidité des formalités à la frontière (près de deux heures) mettez-vous dans la posture de l’Africain et regardez attentivement, vous aurez même le temps de faire un tarot en attendant tous les tampons, avec en prime les conseils des douaniers.
Marie, Etienne, Damien firent la découverte de l’humour libyen, on les trouvait trop jeunes pour marcher dans le désert.
Sur le parking de l’aérogare un repas nous attendait : une bonne soupe de légumes, quelques nouilles chaudes, les premières dattes et nous voilà embarqués dans trois 4X4.
Après la grande route éclairée qui nous fait sortir Sebha, nous nous enfonçons dans les premières dunes. Il y a du vent, c’est deux heures du matin. La tente Allibert nous abrite pour la première nuit trop courte. Les Maraud résistent bien sûr et eurent leur première nuit étoilée.
La nuit de pleine lune inviterait à l’éveil fasciné devant tant de clarté retenue. Mais la fatigue du jour nous entraîne jusqu’au lever du soleil.
La nuit fut somptueuse. La lune donne sa couleur dorée à la terre. Mais je suis déjà à la deuxième nuit sous les étoiles au bord du lac salé. Que ne reste-t-il d’hier déjà si loin. La première salade Allibert, sous les tamaris, aux légumes frais préparés par Saïd, le franchissement de l’erg à moteurs forcés, la longue traversée dunes après dunes, de toutes formes, aux couleurs changeantes, le premier lac asséché et sa boue salée qui fait des briques à construire et à transporter, enfin Oum El Ma, la « maman de l’eau » dont nous ferons un premier côté avant le délicieux couscous de Saïd. Etranges eaux salées dans une mer de sable entourée de palmiers et de roseaux presque immobiles. Nous y verrons un crocodile, mais Etienne ne nous suivra pas dans cette vision.
Et la nuit revient avec son manteau étoilé.
Je dors enfin longtemps, la nuit du désert me répare et fait son travail que les nuits de Bordeaux n’ont su opérer.
Au matin nous faisons le tour par l’autre côté du lac sur les traces du fennec, du chacal, de la gerboise, des souris, du corbeau. Le sable garde mémoire un instant des passages de la nuit, le vent en effacera la trace et demain paraîtra neuf.
Le lac est un miroir totalement immobile, le reflet semble plus vrai que le sujet, premier mirage du jour.
Dodo remplit son chèche de dattes qu’il offrira aux cinq autres coéquipiers qui nous assurent un confort maximum dans des conditions minimales.
Retraversée de l’erg, plongée dans le sable en forme de pyramide, quelques traces blanches de sel et nous nous arrêtons dans la vallée pour la salade Allibert aux fèves délicieuses.
La montée sur le reg se fait en fin d’après-midi, la chaleur est forte encore, on va vers le sud, il y fera de plus en plus chaud. Les 4X4 nous amènent en train d’enfer sur un immense reg : 60 km de traversée de rien, du rien à perte de vue et soudain un vieil acacia étonné d’être là, un buisson qui n’en revient pas d’être si isolé, et encore rien jusqu’à la barrière des coloquintes par milliers.
Ramassage de bois et bagarre de coloquintes avant d’arriver au creux des dunes par le soleil couchant, magnifique disque qui s’enfonce en terre jusqu’à demain si Dieu le veut.
Le sable se pare des couleurs chaudes du soir, l’orange domine.
Le repas se prépare, les artistes décorent aux tisons les coloquintes rescapées.
La première étoile vient nous dire bonsoir. C’est grandiose, le vent est doux.
J’adore ces grandes étendues de rien où la moindre chose apparaît toute entière. On a envie que l’intérieur soit ainsi fait de rien pour que le moindre détail apparaisse comme le cadeau de Dieu. Il fait beau à l’intérieur. Le désert a cette belle vertu : il débarrasse.
Aujourd’hui j’ai pu dormir à toutes les haltes, le désert emporte ma fatigue des jours encombrés de tout.
La nuit n’est plus de pleine lune, elle a perdu sa lumière et tend désormais vers la grisaille du dernier décan.
On prend le temps du réveil eu milieu des dunes. Etienne et les autres vont rouler et courir depuis le haut des dunes, il y a du sable à perte de vue.
Nous marchons un peu pour admirer, et les 4X4 nous emmènent sur le reg blanc, on devine à côté le reg noir que l’on va bientôt prendre pour aller voir les gravures rupestres. Douze mille ans nous séparent des plus anciennes. Eléphants, autruches, girafes, crocodiles, rhinocéros sont les traces d’une vie disparue.
Le désert nous donne la vie dans les traces qu’elle laisse et qui traversent les âges. Pour le reste c’est toujours rien à perte de vue « A la mesure sans mesure de ton immensité, tu nous manques Seigneur » dit le cantique.
Le désert repousse la limite, ces grands plateaux de pierres noires ou de sable repoussent à l’horizon le point d’arrêt, on pourrait rouler ainsi des siècles sans atteindre le bord. L’infini est inscrit au bout de l’horizon des hommes.
Seul un arbre seul arrête un instant la course sans fin du regard et l’acacia têtu au milieu de rien dit l’obstination à écrire malgré tout quelques hiéroglyphes qui laissent d’autres traces venues des créatures.
Le soir Dodo nous montre, au bivouac, celles du chameau, de la gazelle, du lézard, la maison écroulée sur son monticule en cas d’inondation d’un autre âge.
Le soleil, ce soir, se cache pour dormir, les nuages en gardent la couleur rouge.
Un bout de bois pétrifié redonne encore des traces.
Décidément j’ai cru aujourd’hui que le blanc et le noir me parleraient des choses tranchées, à trancher, il faudrait faire la différence.
Ce soir c’est la trace qui touche en moi la vie des hommes et la trace de l’infini de Dieu, la trace qu’il faut suivre en traversant le blanc et le noir, la trace qu’il faut déchiffrer, la trace qui ouvre un autre voyage celui du rêve de l’humanité qui s’obstine à vivre ?
Pendant ce temps les enfants jouent à s’enterrer !
J’allais oublier le vol de perdrix au puits. Des images de plats succulents viennent à mes lèvres. C’est sûr, je ferai le repas du retour !
La nuit fut d’un seul tenant ! La lune en plein milieu du ciel tient jusqu’au matin après le coucher des étoiles, l’œil de l’enfant la nomma étonné.
Une heure de marche permet à nos guides de faire du bois pour la journée.
Nous suivrons la trace de la gazelle, on en comptera jusqu’à quatre dans le fond de l’oued ; son sillon s’est bien rétréci mais sur la plus grande entaille, quelques gravures rupestres marquent la limite des grandes eaux.
Nous prenons l’oued pour sortir du plateau, la rivière a creusé un lit de plus en plus large.
Le paysage évoque le Colorado, on roule ainsi presque deux heures avant d’aboutir sur une grande plaine aux bords de bout du monde, toujours rien à l’horizon, rien, la mer que voient nos yeux semble l’extrême limite de la terre après y aura-t-il quelque chose ?
On roule de bord en bord d’horizon, puis peu à peu une légère couleur pastel, dans les saumon clair, barre l’horizon nous allons traverser des rangées de dunes, on est à nouveau immergés dans le sable.
Au loin l’Akakus se dessine un peu sombre au sommet d’une dune brûlante. Dodo nous donne quelque indications avant d’aborder le massif vers la gauche : le Tibesti, en face Ghât.
Nous voici partis à la recherche d’un point d’ombre pour la salade de midi.
On entre au pays du noir et de l’orange, de la pierre et du sable, des géants en équilibre, des génies en forme d’humains ou d’un bestiaire imaginaire.
Le point d’eau sert de salle de douche, Ahmed donne le départ et tous shampooingnent leur chevelure hirsute et l’on reprend la course dans la splendeur.
Les voitures nous donnent le temps pour marcher. Le temps de voir les géodes, les couleurs qui deviennent profondes quand le soleil décline. On monte la grande dune et assis on écoute le chant des Béatitudes. On y est admis par la grâce de la création. On resterait là si… j’ai envie de me raser pour être propre face à cette beauté, encore une histoire de séduction, éternelle histoire du ravissement qui risque s’arrêter, mais il faut prendre la route et voir plus loin ce qui nous a été préparé sans qu’on y soit pour rien.
La première arche avait trois pieds, comme si un mammouth était rentré dans la falaise, et on ne voyait plus que son énorme derrière ; nous marchons trois heures d’arche en arche sous le soleil de plus en plus ardent, d’ombre en ombre - « à l’ombre de tes ailes, je trouve la fraîcheur » doit dire un psaume quelque part - de moulin en moulin, de creuset et creuset pour le grain, le feu, le vin, le linge.
L’akakus nous ouvre à ses fantômes de champignons énormes, de tours crénelées, de bonhommes aux mille positions ; toujours le noir et l’orange, l’acacia solitaire, l’euphorbe et ses fruits éclatés, le désert nous entre par la soif et la beauté.
Dodo nous guide doucement en bon maître d’école. Il fait bon s’arrêter pour la salade de chaque jour ; refaire quelques forces, déjà on sait que la nuit sera bonne, mais les 4X4 l’après-midi nous conduiront vers d’autres arches.
La grande majestueuse, celle à plusieurs piliers comme une cathédrale et nous découvrons les peintres du désert 6000 ans, 8000 ans nous séparent de ces peintres rupestres aux couleurs rouge, nous redonnant la vie enfouie du fond des âges, les bergers, le chameau et son chien, des vaches et des bœufs, des antilopes, mais sur les gravures, les âges s’enchevêtrent.
Je ne sais plus si je suis dans un monde cassé de partout, démoli, en ruine, aux pierres si fragiles que tout va se réduire, un grain de sable qui prend les grosses dents noires d’assaut, pour les ensevelir, monde ancien à jamais derrière nous qui intéresse si peu les enfants, une peinture rupestre ça va, mais à la quatrième tout ça est bien barbant.
Mais si c’était le premier jour du commencement du monde, et si il n’y avait eu jusqu’alors que des balbutiements, quelques tâches, indices de ce qui germait dans les cœurs, les esprits et qui éveillait l’âme, et si les modules qui jonchent le fond des mers des sables après les océans indiquaient ce commencement toujours à l’œuvre comme une création.
Et si cet amas qui, à perte de vue renvoie de la beauté, creusait un supplément d’âme où à partir de rien on va enfin trouver un vrai chemin d’humanité débarrassée des choses pour sortir d’elle-même, ouvrir grand les yeux et chanter doucement, fortement l’allégresse de la vie toujours première.
Le soleil réapparaît pour notre dernier coucher dans le désert, comme s’il voulait nous dire au revoir ; tout ce jour il s’est caché derrière les nuages gris, pourtant, l’autre matin, il nous avait montré son art de peintre et avant de paraître il avait déployé ses plus belles parures, un instant on pouvait croire qu’il avait pris les couleurs du sable ; au petit matin alors que le sol était encore dans la grisaille de la nuit, les nuages avaient pris des couleurs orangées comme un monde renversé quelques minutes et la lumière envahissante progressivement noyait tout dans son éclat.
Aujourd’hui rien de tel pour sortir du Tatrard et traverser l’Akakus, le ciel était sombre sûrement de nous voir partir, ou bien pour nous faire découvrir les couleurs des peintures rupestres qui jalonnaient notre chemin, les traits fins de plus de 6000 ans, nous reconstituaient une noce, un combat, des bœufs tirant des chars, la girafe, les chiens, les femmes et les guerriers.
L’Akakus revêt ce soir au soleil couchant sur la plaine au doigt pointé vers le ciel, comme un voile et demain ce sera dans nos yeux que le noir et l’orange, le brun foncé et le sable clair joueront pour mettre en scène entre les gros blocs de grès noirs oxydés par le temps des personnages mi-géants, mi-fantômes posés comme en attente de résurrection, des corps pétrifiés posés sur le sable entre lesquels sillonnent les 4X4 !
Une méharée est arrêtée à un site rupestre, de quoi nous faire envie pour un prochain voyage, mais il faudra que j’apprenne à guérir du mal de chameau.
Saïd prépare le repas, il nous aura bien soignés, midi, matin et soir jusqu’au pain grillé, il ne manquait plus que les croissants.
Ahmed, le rigolo, Chabani le rieur, Amdam le sage conduisaient nos 4X4 ; leurs rires, les salutations échangées avec les autres touaregs croisés sur ces routes, leurs chants joyeux le soir autour du feu de camp à l’aide de bidons transformés en tambours avec les chèche blanc, la course par moment pour jouer sur les grandes étendues, mais la voiture de Dodo est toujours laissée en premier, trois joyeux drilles qui, avec Saïd l’élégant et Dodo notre maître à tous, ont su nous donner un petit air de la joie de vivre des Touaregs, de leur grande gentillesse et de leur belle hospitalité.
Nos trois plus jeunes Marie, Damien et Etienne ont bien sympathisé entre eux et avec eux et ils emportent au moins pour quelques jours un nombre impressionnant de mots arabes, peut-être même quelques uns en touareg. Leurs rires et leurs chants ont résonné dans la nuit pendant que le sommeil m’emportait.
Edriss, l’œil de Tripoli, s’y est mis progressivement et a joué avec les enfants. Je serai curieux de voir ce qu’il a noté de notre groupe sur son rapport aux autorités ?
Dodo et son chèche blanc et sa gandoura verte nous a introduits lentement, savamment, avec doigté, j’ai même eu hier soir l’honneur de servir le repas avec lui, il avait compris je pense ce que je faisais dans la vie.
Olivier était entre les vieux et les enfants, il a été avec les uns et les autres, l’appel de « Maman » restait le lien. Enfin Bordeaux n’est plus très loin et la belle vie va pouvoir commencer…
La veillée fut de chants et même un beau (paraît-il) sur Marie. Ahmed se serait lâché ; les jours précédents, la veillée fut de contes et d’énigmes.
Pour connaître le conte du chacal et des pintades, prenez rendez-vous avec Dodo dans un coin de l’Akakus le soir au feu de bois, il ira même jusqu’à vous pour l’énigme du bonhomme trouvé nu et mort sur le chemin avec un brin de paille dans la main ; pour la réponse, même adresse, je vous la recommande.
La nuit fut courte et la lune, du moins ce qu’il en restait, brillait encore fort lorsque Dodo sonna le réveil sur la timbale. Il fallait s’arracher au sable, on décida de faire grève et de rester, mais il nous fallut toute la journée pour rejoindre Sebbah, la route est immensément droite, sur des centaines de kilomètres entre Ghat et Ubarri, deux virages un à droite, l’autre à gauche.
On forme un train de minibus Allibert pour remonter vers le Nord groupés.
Dodo et Edriss nous accompagnent jusqu’au bout. Des voitures nous voyant le Mezzat sur lequel nous avons circulé deux jours, quelques torchères sur la gauche se font discrètes. Ubarri, gros centre commercial, Germa à nouveau et le camping pour la douche, le bruit, la télévision… on nous réintègre peu à peu dans l’univers familier.
« Qui fait un tarot ? » la voix de Damien résonne dans la salle d’embarquement. Son appel a résonné à chaque étape de chaque jour ; il est souvent arrivé à ses fins, Marie n’était pas le dernière.
Paris Charles de Gaulle est à 3h 30 avec le froid. Le tadrard est en direction de Sabah, alors après les dromadaires de Sebah peut-être (Inch Allah !) verrons-nous ceux de Saba ?